Des
antipodes, d’une région aussi reculée que
sauvage, est arrivé à la fin 2006 un film étrange,
qui tient à la fois du document ethnographique et
d’un conte universel. Au nord de l’Australie
en plein territoire bush, le jeune Dayindi
convoite la plus jeune des trois épouses de son
frère aîné Ridjimaril, menaçant ainsi les règles
tribales. Lors d’une expédition pour aller
chasser les oies sauvages dans les marais
avoisinants, le vieux Minygululu entreprend de
raconter au jeune amoureux une légende ancestrale
où il est question d’amours interdites, d’enlèvement,
de sorcellerie et de vengeance qui tourne mal. Une
histoire narrée par épisodes entrecoupés d’un
autre apprentissage, celui-là plus concret et immédiat :
la confection de pirogues à partir d’écorces
d’arbres pour aller ensuite débusquer les
volatiles sur leur terrain.
10
canoës, 150 lances et 3 épouses se présente
comme une fable mêlant écologie et philosophie.
C’est une voix off qui nous guide à travers les
différentes époques, celle de David Gulpilil,
célèbre acteur aborigène australien, à
l’initiative de ce curieux projet qui démarra
par la découverte d’une vieille photographie en
noir et blanc, représentant un groupe de dix
hommes avec leurs canoës. A partir de ce cliché
faisant resurgir un monde disparu, fut imaginé un
scénario original mettant en scène une tribu
aborigène dans une fable gigogne et pleine
d’humour. Car avec un tel préambule, on pouvait
craindre un film ennuyeux et didactique, proche de
la caricature ou des bons sentiments. Agréable
surprise, c’est exactement l’inverse : le
film est franchement drôle, rythmé, utilise avec
finesse le passage du noir et blanc à la couleur
pour situer les époques. Et malgré la kyrielle
de personnages aux noms difficilement mémorisables
et des sous-titres parfois illisibles – ce sera
là le principal reproche technique à lui
adresser - , on pénètre sans problèmes et au
contraire avec un plaisir croissant au fond de
cette nature luxuriante où jeunes et vieux,
femmes et hommes semblent vivre dans une pleine
harmonie. Ainsi la polygamie n’entraîne-t-elle
pas l’infériorité des femmes, absolument pas
disposées à être les vassales de leurs époux ?
Et dans l’annexe du camp où sont regroupés les
jeunes hommes célibataires, les copains de
Dayindi ne se gênent pas pour railler ses velléités
de dragueur.
Dans
ce monde naturaliste et contemplatif où chacun
vit presque nu, la sexualité est abordée sans
complexe. Dayindi a envie d’avoir une femme le
plus rapidement possible, pas quand il sera vieux
et que « sa bite sera ramollie ».
Dans la file joyeuse des chasseurs, le vieux sage
met en dernier celui d’entre eux sujet à des
pets très odorants. Et il faut se méfier des étrangers
cachant sous un morceau d’étoffe leur attribut,
forcément ridicule et annonciateur de mauvais présages.
Tout
cela est donc savoureux et facétieux en diable,
mais aussi plein de bon sens et de sagesse car, on
l’aura compris, la légende contée par le menu
au fougueux et impatient Dayindi a pour objet de
lui apprendre la patience et de le faire réfléchir
aux conséquences inattendues de la convoitise et
de l’envie. Impossible dès lors de ne pas
tomber sous le charme de cette fable inventive qui
parvient à nous rendre proche la culture d’une
contrée et de ses habitants parmi les plus éloignées
de notre Terre.
Patrick
Braganti
Film
d’aventures australien – 1 h 31 – Sortie le
20 Décembre 2006
Avec
Crusoé Kurddal, Jamie Gulpilil, Richard
Birrinbirrin
Plus+
www.10canoes-lefilm.com
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