Ainsi,
à en croire la presse qui compte et fait
l’opinion, assisterions-nous à l’éclosion du
côté de la Roumanie, juste entrée dans la
Communauté Européenne, d’une nouvelle génération
de jeunes cinéastes à l’humour ravageur et
salvateur, scrutateurs intransigeants et souvent
iconoclastes d’une société délitée, en plein
chaos existentiel et plongée dans un complet
marasme économique.
Cette
nouvelle lubie a commencé l’an passé avec la
sortie de La Mort de Dante Lazarescu,
road-movie nocturne au cœur du système
hospitalier roumain, film monstre et inventif, qui
justifiait d’évidence l’engouement et
laissait augurer du meilleur, qui sera de nouveau
tutoyé quelques mois plus tard avec Comment
j’ai fêté la fin du monde. Autant dire que
12h08 à l’est de Bucarest, récompensé
d’une Caméra d’Or cannoise dont on connaît
l’exigence et le bon goût de son jury, était
attendu avec gourmandise
Hélas,
le film du jeune Corneliu Porumboiu ne
tient en rien ses promesses et se révèle
particulièrement décevant en escamotant son
objectif pourtant audacieux, celui de se demander
si la révolution de Décembre 1989 qui vit la fin
du régime Ceausescu a bien eu lieu, en quoi elle
a concerné le peuple et ce qu’elle a bien pu
changer.
12h08
à l’est de Bucarest prend le parti de
traiter son sujet par le petit bout de la
lorgnette. Loin de la capitale, un ancien ingénieur
textile reconverti en animateur télé locale
organise un débat avec deux invités : un
prof soûlard et endetté et un vieux papy, bougon
mais bon bougre, devant apporter leurs témoignages
à propos de leur présence sur la place publique
avant, pendant ou après 12h08, la fameuse heure
à laquelle Ceausescu est renversé. Le seul à
revendiquer sa présence et donc sa participation
active à la révolution en marche, c’est le
prof, à peine sorti des brumes alcoolisées de sa
dernière nuit. Mais les appels véhéments des téléspectateurs
démentent tous sa version, et même le papy débonnaire
et sage confesse sans honte être passé à côté
de l’événement.
Le
film assez court se divise en deux parties :
avant l’émission, on nous montre les trois
protagonistes dans leurs univers respectifs qui
ont en commun la même indigence du cadre de vie,
la même désespérance à devoir la supporter ;
pendant l’émission, en caméra quasiment fixe
et parfois tremblotante, on assiste au débat
pitoyable et grand-guignolesque. Malgré quelques
sourires – le papy désabusé réalisant des
bateaux en papier pendant l’émission -,
l’impression générale laissée par 12h08 à
l’est de Bucarest est celle d’un film fainéant,
un brin potache et flirtant parfois avec une
facilité éhontée, indigne des honneurs rendus
aujourd’hui. Suivre pendant quelques minutes une
voiture dont le toit est recouvert d’un sapin de
Noël dans les rues labyrinthiques d’une ville
relève du plan inutile, juste bon à prouver une
capacité technique.
Le
plus désagréable de 12h08 à l’est de
Bucarest réside dans son aspect
indiscutablement plaisant et somme toute anodin,
ce qui limite du même coup sa portée et
l’ampute un peu trop vite de sa dimension
politique et sociale. La farce qui se voudrait à
la fois cinglante et humaniste transforme ses
personnages en charlots sympathiques qui tentent
de sauver les apparences, en ne faisant que suggérer
les effets du renversement du dictateur. 12h08
à l’est de Bucarest fait donc partie de la
catégorie : aussitôt vus, aussitôt oubliés.
Donc une déception…
Patrick
Braganti
Comédie
dramatique roumaine – 1 h 29 – Sortie le 10
Janvier 2007
Avec
Mircea Andreescu, Teodor Corban, Ion Sapdaru
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