2046
de Wong Kar
Wai
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Pour
commencer par une boutade pour un film qui ne prête
pourtant pas à rire, je dirais que « 2046 »
réhabilite l’ennui au cinéma ! J’y vois une
qualité en tout cas, je veux dire par là que le
spectateur est envoûté, d’une manière
contemplative, par ce qu’il voit à l’écran, car
les images, comme la musique ou le jeu des acteurs, sont
captivants ; en même temps on n’est pas forcément
dedans, l’esprit flotte… et on pourrait très bien
voir ce film par petits bouts. D’emblée, « 2046 »
apparaît ainsi comme un film très esthétique et poétique,
qui ensorcelle le spectateur, qui lui permet de voyager
pendant deux heures, dans un long rêve hypnotique
magnifique, mais pas très gai, car surtout emprunt de
nostalgie et de tristesse…
La trame de l’histoire (qui apparaît ici surtout
comme un prétexte, et fait écho aux films précédents
de Wong Kar Waï : « In the mood
for love » et « Nos années sauvages »)
est celle d’un homme qui aime surtout ce qu’il ne
peut pas avoir, et qui se regarde aimer, rêver, fumer,
passant son temps dans des volutes imaginaires d’un
monde qui n’est plus…
Cependant, nous ne sommes pas dans une logique narrative
classique ; mais dans une histoire qui navigue
continuellement entre un passé nostalgique et un futur
mélancolique qui ramène toujours en arrière ;
une histoire faite de moments suspendus, portée par les
doutes métaphysiques et narcissiques d’un personnage
(probable double de son créateur), Chow, écrivain
quelque peu désabusé hanté par les souvenirs, les
rendez-vous manqués et les regrets… Tout est affaire
de timing dans ce film, de rencontres et/ou d’émotions
qui surviennent trop tôt, ou trop tard, et qui font
qu’au final, les jeux de l’amour sont
malheureusement plus souvent des jeux de dupe et de
pouvoir où personne n’est gagnant…
Derrière la beauté quelque peu glacée
de ce film, où le style de Wong Kar Waï, raffiné
et élégant, donne sa pleine mesure, il y a beaucoup de
tristesse, voire de désespoir ; et le futur, représenté
par ce train fantomatique qui emmène ses voyageurs en
2046 (lieu temporel des souvenirs d’où personne
n’est censé revenir), est un futur assez crépusculaire,
comme la fin d’un monde qui n’est plus… et ne
reviendra plus.
Autour du personnage de Chow (Tony Leung,
impeccable), dandy séducteur et manipulateur quelque
peu cynique, gravitent des femmes, ici magnifiées par
le regard de Wong Kar Waï ; Lulu (Carina
Lau), coquette et vulnérable ; Bai Ling
(Ziyi Zhang), séductrice et pourtant fragile ;
Su Li Zhen, qui porte le nom de la femme tant aimée
(Gong Li), mystérieuse et trouble… Mais malgré
ces chassés croisés et variations autour de l’amour,
l’absence de l’être aimé (fantôme omniprésent
incarné par Maggie Cheung) envahit tout ;
ne reste alors la place que pour des flirts, des jeux de
séduction et de dupes, des fantasmes, des rêveries,
des espoirs forcément déçus… et finalement,
beaucoup de tristesse. Restent ces secrets qu’on garde
en soi à défaut de les confier à l’autre, au trou
d’un arbre ou à une montagne, restent ces Noëls qui
ravivent encore plus les manques, restent ces larmes
qu’on ravale par orgueil. Reste le temps qui continue
à se dérober et à laisser la place aux regrets.
Ce sont des personnages qui passent à côté de leur
vie, peut-être parce qu’ils jouent trop, parce
qu’ils trichent trop, ou parce qu’ils se regardent
trop, dans un jeu de miroirs narcissiques qui renvoient
finalement au vide. Et à une solitude immense.
Le principal bémol du film tient dans son côté trop
stylisé ; pour faire simple, on a l’impression
que Wong Kar Waï se regarde un peu trop filmer,
et en cinéaste obsessionnel et soucieux du moindre détail,
il fait de « 2046 » un film
probablement trop parfait, trop maîtrisé, pour pouvoir
complètement nous bouleverser. D’autant qu’il est
un peu trop monolithique au niveau émotionnel (sur le
registre de la mélancolie avant tout). Mais il y a des
moments magiques et des instants de grâce qui survolent
tout !
Et puis, peut-être que plus qu’un film, « 2046 »
est une œuvre d’art, un ovni filmique, sans début ni
fin, un objet en soi fascinant, très esthétisant et
avant tout contemplatif ! Et c’est
probablement dans cette attente qu’il faut aller le
voir, ou en tout cas qu’on en profite au mieux.
Cathie
Maillot
Hong-kong
- 2h 09 - Sortie le 20 octobre 2004
Avec
Tony Leung, Ziyi Zhang, Gong Li, Carina Lau, Maggie
Cheung…
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