Quand
vous lirez ces lignes, 4h30 de Royston
TAN ne sera plus joué que dans certaines
salles audacieuses et surtout insistantes, comme
le réseau Utopia qui porte de mieux en mieux son
nom. Pourtant, et ce n’est pas plus rassurant,
vous n’avez probablement pas lu beaucoup de
lignes supplémentaires sur ce film lors de sa
sortie tant la frilosité des journalistes
semblent n’avoir d‘égal que celle des
distributeurs. Et qui sait, elle est même peut-être
pire...
4h30 est le récit sec, troublant et in
fine déchirant de la solitude d’un enfant
en terre bouddhiste. Ce postulat de départ, qui
devient le seul réel sujet du film (mais qui a
dit qu’il en fallait plusieurs pour convaincre,
le cinéma dit choral ayant surtout érigé en
norme la vacuité de ses multiples personnages) ce
postulat, donc, tient sur le visage de ce jeune
garçon, délaissé par une mère qui lui donne
ses consignes (école, repas) par téléphone, et
en manque total de repères. Comme le faisait
remarquer le psychanalyste Robin Skinner
(dans son livre d’entretiens avec le Monty
Python John Cleese (*) si l’on enferme un
enfant dans une pièce sombre, il sera beaucoup
plus effrayé s’il peut marcher à l’infini
sans trouver de murs qui l’arrêtent, que s’il
se heurte à la réalité des murs qui
l’enferment MAIS le sécurisent)
Le premier plan de “’4h30” est d’ailleurs
celui de Xiao Wu (notre héros) en larme
sur des marches d’escaliers, seul, “cadré”
par la vie et la caméra. On croirait presque un
plan de fin.
C’est l’arrivée d’un nouveau voisin, un
trentenaire en plein désarroi amoureux qui va révéler
à Xiao Wu la possibilité de se focaliser sur
autre chose que son ennui. Cet inconnu (Jung),
dont on n'entendra pas un mot durant tout le film
devient pouvoir d'attraction, y compris dans sa
banalité. Et chaque matin, l’enfant mettra son
réveil à 4h30 pour épier les premiers gestes de
cet homme.
Seuls dans cette maison vide (les habitations
singapouriennes semblent regorger de secrets et de
modus vivendi inconnus sous nos latitudes), Xiao
Wu va calquer jusqu’au mimétisme les moindres
faits et gestes de Jung : dépiautage des
cigarettes, récupération des baguettes (de repas
!) et même collection de poils pubiens. Cette expédition
au sein d’un adulte impassible (4h30 est
l’archétype du faux film parlant !) nous désarçonne,
semble maladive, mais, peu à peu, s’inscrit
tellement dans un désespoir de l’enfant qu’il
nous happe et que l’on accepte toutes les manœuvres
de Xiao Wu.
Il y a d’ailleurs une séquence étonnante,
digne d’un film d’épouvante où Xiao Wu entre
dans la chambre de Jung endormi et, tel un
farfadet, fouille tout ce qu’il peut (vêtements,
parties intimes) à l’aide d’une lampe de
poche. Jung, assommé par l’ivresse n’entend
rien.
La qualité principale de ce film passionnant et hétéroclite
(malgré la répétition presque amusante des
lieux et des gestes) vient de l’humour qu’il
sait distiller.
A l’heure du religieusement correct, les séquences
où l’enfant épie chaque matin sur le chemin de
l’école un groupe d’amateurs de Tai-Chi-Chuan
pratiquant sereinement leur méditation, avant de
se ruer sur le Combo Radio pour y mettre du
heavy-metal ou voler la cassette sont des moments
à la Jacques Tati disséminés tels les pierres
du Poucet dans un film à l’ambition absolument
universelle. (1)
En 1h30, Royston TAN agrége des moments de
vie et de vide qui composent un tableau sans démesure
formelle (peut-être par manque de moyens) mais extrêmement
racé (cadre et couleurs semblent sortis d’un
croisement entre le peintre Rothko et un
aquarelliste japonais) et surtout d’une
puissance émotionnelle rarement approchée ces
temps derniers. La mode des “enfants savants”
(Magnolias, Selon Charlie, Billy
Elliott et 99% des téléfilms) après celle
des chiens du même nom, laisserait presque
supposer que les petits d’homme -pour reprendre
la terminologie du Livre de la Jungle- sont
des êtres immédiatement matures, à qui la société
ne la “fait pas”. On en passerait presque sous
le tapis les errements, les fascinations, les étranges
mécanismes qui passent sous le crâne et dans le cœur
des enfants.
Pierre
Gaffié
Film singapourien - 1h 33 - sortie : 26 Juillet 2006
Avec Xiao Li Yuan, Kim Young Jun...
*"La famille, et comment lui survivre" chez Payot.
**A noter que ce film a été produit par le cinéaste
Eric Khoo, auteur du célèbre "Be with me"
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