cinéma

4h30 de Royston Tan

[4.0]

 

 

Quand vous lirez ces lignes, 4h30 de Royston TAN ne sera plus joué que dans certaines salles audacieuses et surtout insistantes, comme le réseau Utopia qui porte de mieux en mieux son nom. Pourtant, et ce n’est pas plus rassurant, vous n’avez probablement pas lu beaucoup de lignes supplémentaires sur ce film lors de sa sortie tant la frilosité des journalistes semblent n’avoir d‘égal que celle des distributeurs. Et qui sait, elle est même peut-être pire...

4h30 est le récit sec, troublant et in fine déchirant de la solitude d’un enfant en terre bouddhiste. Ce postulat de départ, qui devient le seul réel sujet du film (mais qui a dit qu’il en fallait plusieurs pour convaincre, le cinéma dit choral ayant surtout érigé en norme la vacuité de ses multiples personnages) ce postulat, donc, tient sur le visage de ce jeune garçon, délaissé par une mère qui lui donne ses consignes (école, repas) par téléphone, et en manque total de repères. Comme le faisait remarquer le psychanalyste Robin Skinner (dans son livre d’entretiens avec le Monty Python John Cleese (*) si l’on enferme un enfant dans une pièce sombre, il sera beaucoup plus effrayé s’il peut marcher à l’infini sans trouver de murs qui l’arrêtent, que s’il se heurte à la réalité des murs qui l’enferment MAIS le sécurisent)

Le premier plan de “’4h30” est d’ailleurs celui de Xiao Wu (notre héros) en larme
sur des marches d’escaliers, seul, “cadré” par la vie et la caméra. On croirait presque un plan de fin.

C’est l’arrivée d’un nouveau voisin, un trentenaire en plein désarroi amoureux qui va révéler à Xiao Wu la possibilité de se focaliser sur autre chose que son ennui. Cet inconnu (Jung), dont on n'entendra pas un mot durant tout le film devient pouvoir d'attraction, y compris dans sa banalité. Et chaque matin, l’enfant mettra son réveil à 4h30 pour épier les premiers gestes de cet homme.

Seuls dans cette maison vide (les habitations singapouriennes semblent regorger de secrets et de modus vivendi inconnus sous nos latitudes), Xiao Wu va calquer jusqu’au mimétisme les moindres faits et gestes de Jung : dépiautage des cigarettes, récupération des baguettes (de repas !) et même collection de poils pubiens. Cette expédition au sein d’un adulte impassible (4h30 est l’archétype du faux film parlant !) nous désarçonne, semble maladive, mais, peu à peu, s’inscrit tellement dans un désespoir de l’enfant qu’il nous happe et que l’on accepte toutes les manœuvres de Xiao Wu.

Il y a d’ailleurs une séquence étonnante, digne d’un film d’épouvante où Xiao Wu entre dans la chambre de Jung endormi et, tel un farfadet, fouille tout ce qu’il peut (vêtements, parties intimes) à l’aide d’une lampe de poche. Jung, assommé par l’ivresse n’entend rien.

La qualité principale de ce film passionnant et hétéroclite (malgré la répétition presque amusante des lieux et des gestes) vient de l’humour qu’il sait distiller.
A l’heure du religieusement correct, les séquences où l’enfant épie chaque matin sur le chemin de l’école un groupe d’amateurs de Tai-Chi-Chuan pratiquant sereinement leur méditation, avant de se ruer sur le Combo Radio pour y mettre du heavy-metal ou voler la cassette sont des moments à la Jacques Tati disséminés tels les pierres du Poucet dans un film à l’ambition absolument universelle. (1)

En 1h30, Royston TAN agrége des moments de vie et de vide qui composent un tableau sans démesure formelle (peut-être par manque de moyens) mais extrêmement racé (cadre et couleurs semblent sortis d’un croisement entre le peintre Rothko et un aquarelliste japonais) et surtout d’une puissance émotionnelle rarement approchée ces temps derniers. La mode des “enfants savants” (Magnolias, Selon Charlie, Billy Elliott et 99% des téléfilms) après celle des chiens du même nom, laisserait presque supposer que les petits d’homme -pour reprendre la terminologie du Livre de la Jungle- sont des êtres immédiatement matures, à qui la société ne la “fait pas”. On en passerait presque sous le tapis les errements, les fascinations, les étranges mécanismes qui passent sous le crâne et dans le cœur des enfants.

 

Pierre Gaffié

 

Film singapourien - 1h 33 - sortie : 26 Juillet 2006
Avec Xiao Li Yuan, Kim Young Jun...

*"La famille, et comment lui survivre" chez Payot.
**A noter que ce film a été produit par le cinéaste Eric Khoo, auteur du célèbre "Be with me"