Les Amants Réguliers
de Philippe Garrel
[4.0]
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En 1968, Philippe Garrel vient d’avoir
vingt ans et le garçon qui a fui les bancs de l’école
où il s’ennuyait ferme a déjà réalisé un premier
long métrage l’année d’avant : Marie pour
mémoire. Jeune parisien privilégié par le milieu
culturel dans lequel il baigne de par ses origines –
il est le fils de l’acteur Maurice Garrel -, il
trouve en toute logique un formidable terrain de jeu et
d’apprentissage dans les événements de Mai 68. Comme
François – interprété par le propre fils du cinéaste,
Louis Garrel le bellâtre romantique et vénéneux
au regard charbonneux – 20 ans à Paris en 1968
en qui il est difficile de ne pas voir le double du réalisateur.
Garrel revisite ainsi à sa manière le
mouvement étudiant du printemps 68 à travers
l’histoire de François et de sa bande. François est
un jeune poète, qui refuse d’accomplir son service
militaire, préfère fumer de l’opium avec ses copains
et s’amuser à se faire peur dans les nuits troubles
et agitées de Mai 1968. La première partie du film est
entièrement tournée vers la tentative de révolution,
vite avortée, vite tuée dans l’œuf. Bien sûr, il
ne faut pas s’attendre de la part de Garrel à
une reconstitution des barricades. L’altercation
nocturne de l’avenue du Maine entre étudiants et
forces de l’ordre est passée par le prisme poétique
et théâtralisé du réalisateur. C’est une scène
beaucoup trop longue, que l’on sent chorégraphiée et
mise en scène au millimètre près, dont l’apprêt
finit par ennuyer.
La seconde partie se
concentre longtemps sur la bande de François et
l’histoire d’amour qui naît entre celui-ci et
Lille, jeune apprentie en sculpture, au sourire
rayonnant. Dans l’immense appartement qu’Antoine a hérité
de son père, les copains et les filles qui les
accompagnent vivent mollement au rythme des fumeries.
L’amour entre François et Lille sans perspectives et
sans contraintes pourra t-il survivre à l’obligation
d’envisager un avenir ?
De l’expressionnisme allemand aux cinéastes de
la Nouvelle vague, peu de grands noms manquent à
l’appel pour souligner les inspirations évidentes de Garrel.
Bizarrement, on a oublié de mentionner un cinéaste
contemporain dont le dernier film est pourtant proche
des Amants Réguliers. Il s’agit de Gus Van
Sant dont Last Days offre plus d’un trait
commun avec le film de Garrel . En effet, Les
Amants Réguliers, tout comme Last Days, est
avant tout une expérience sensorielle et envoûtante, où
le temps est étiré et diffracté. Les jeunes gens de Garrel
sont tous plus beaux les uns que les autres, magnifiés
par l’image en noir et blanc très contrastée et
somptueuse de Willy Lubtchansky, directeur de la
photo remarqué chez Rivette.
Cinéaste
du présent, de l’intime et de l’introspection à
l’univers poétique, Philippe Garrel ne
fonctionne certes pas sur l’empathie. Ici pas d’émotions
directes, si ce n’est le plaisir esthétique. En
transformant une période lourde de significations en
mascarade et ses protagonistes en jeunes hommes veules
et amorphes, Garrel propose aussi un étrange et
terrifiant raccourci entre Mai 68 et l’époque
actuelle. Comme si la révolution étudiante préfigurait
les temps à venir, ceux du rejet des idéologies et des
combats, ceux de la consommation et de l’appât du
gain. Lorsque Antoine décide de quitter Paris pour le
Maroc, et de ne plus entretenir son cercle d’amis, le
retour à la dure réalité et son lot de problèmes matériels
ne se fera pas sans casse.
Malgré ses longueurs, surtout dans le premier
tiers, malgré son absence d’action et ses artifices
qui n’en font certes pas un travail de reconstitution,
Les Amants Réguliers fait partie des rares films
à pénétrer dans l’esprit du spectateur et à y
laisser sa trace durablement. Donc à voir sur grand écran
– merci à Arte de nous l’avoir offert mais
franchement non ça ne passe pas le format du petit écran
– et à méditer.
Patrick
Braganti
Film
Français
– 2 h 58 – Sortie le 26 Octobre 2005
Avec
Louis Garrel, Clotilde Hesme...
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