Un
amphithéâtre comme une arène : au milieu,
en bas des gradins, un prof pérore d’une voix
affectée et provoque grâce à ses bons mots les
quolibets de ses élèves à l’arrivée d’Alexandre,
encombré de sa lourde valise, manifestement tout
droit sorti du train et d’une lointaine province
pour venir poursuivre ses études dans la
prestigieuse université René Descartes. Alors
qu’Alexandre tente de passer inaperçu, un autre
élève, André Morney – patronyme qui ne doit
rien au hasard – prend la place du prof pour un
exposé exalté et érudit sur le besoin d’écrire.
De suite, André suscite l’intérêt et la
fascination. Autour de lui gravitent bientôt et
entre autres Alexandre l’apprenti comédien en
théâtre, Eloi, fils d’une romancière qui
traverse une mauvaise passe.
André
est le despote éclairé au milieu d’un groupe
influencé par ses paroles et ses oukases définitifs
– ce qu’il faut lire, comment boire son café
et quelques citations d’écrivains illustres. Le
timide Alexandre et le réservé Eloi subissent
sans récriminer l’influence morbide d’André,
mythomane potentiel, manipulateur sans vergogne de
son entourage. Alors qu’il se révèle
rapidement un menteur stérile, cantonné dans un
discours répétitif, Alexandre et Eloi
progressent avec succès dans leur discipline
respective : le premier est admis au
Conservatoire, le second, à cause de
l’entremise d’une mère passablement déphasée,
voit son manuscrit édité.
Pour
son second film, le scénariste attitré d’Arnaud
Desplechin se situe dans un microcosme
particulier : celui des étudiants en
sciences littéraires, vaguement artistes intello.
Et analyse les relations troubles et perverses de
domination qui s’exercent entre de jeunes hommes
au sortir de l’adolescence, dans une période
riche en rencontres fondatrices. D’ailleurs, Emmanuel
Bourdieu laisse subsister le doute quant aux
motivations d’André : volonté avérée,
malaise existentiel inconscient, tremplin nécessaire
pour transformer les velléités de ses camarades
en agissements productifs ? Sans doute, un
peu des trois. Certes, pour le spectateur adulte,
l’acceptation sans riposte et sans
interrogations d’Alexandre et Eloi paraîtra
surprenante de la part de jeunes hommes si doués
pour le raisonnement et les lettres. Mais André
distribue coups symboliques et caresses,
rebuffades et compliments en tacticien vampire.
Pour
mettre en scène ses personnages qui se cherchent
dans l’univers très balisé de la vie
estudiantine (rédaction de mémoire, obtention de
maîtrise et vie sociale), Emmanuel Bourdieu
filme de manière trouble et floue, souvent de
nuit ou en éclairage artificiel comme
illustrations idoines de leurs états d’âmes.
Aucun
d’eux n’est encore très net, aucun n’a
encore la moindre idée de son destin et le
charismatique André, par sa violence et son
emprise, agit comme un révélateur qui va
insuffler un sens à la vie incertaine de ses
condisciples, réclamant en contrepartie leur dévotion
qui est pour lui une raison d’exister. La réussite
d’Alexandre et surtout d’Eloi illustrée par
la séance de la lecture et de la signature de son
premier ouvrage signe t-elle en définitive
l’inutilité, sinon la disparition d’André,
parti se trouver un nouveau et incongru groupe ?
A
côté des étudiants en devenir, les adultes
installés ne sont guère reluisants :
Mortier est un prof condescendant et volontiers méprisant,
prêt à la compromission devant le premier signe
de violence. Et la mère d’Eloi offre une image
délétère d’un écrivain revanchard et blessé
dans son orgueil, n’ayant aucun scrupule à
faire de son fils l’arme de sa reconquête.
Les
Amitiés maléfiques contient en son titre la
noirceur et le pessimisme de sa résolution. En
digne fils de son père – le sociologue Pierre
Bourdieu – Emmanuel, lui-même normalien et
docteur en philosophie, interroge les codes et
l’habitus de ses héros, dont Eloi est à cet égard
le héraut manifeste.
Très
écrit et brillant, mais jamais rébarbatif ni
sombrant dans l’intellectualisme chiant et
caricatural, Les Amitiés maléfiques séduit
par son intelligence et sa fougue.
Patrick
Braganti
Drame
français – 1 h 40 – Sortie le 27 Septembre
2006
Avec
Thibault Vinçon, Malik Zidi, Alexandre Steiger,
Dominique Blanc, Jacques Bonnaffé, Natacha Régnier
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