Avec
Les Anges exterminateurs, on tient une
nouvelle forme de cinéma : après
l’expression artistique et la thérapie envisagée
à travers l’œuvre, on passe à une nouvelle étape :
le plaidoyer pro domo, qui vaut comme
substitut d’un appel auprès des tribunaux, se résumant
à une présentation personnelle
d’argumentations en la propre faveur de celui
qui les avance.
Pour
mieux appréhender la case insolite dans laquelle
nous rangeons ici le dernier film du jadis mieux
inspiré Brisseau, rappelons rapidement la
fâcheuse déconvenue dont le réalisateur de Noce
blanche eût à souffrir l’année dernière :
un an de prison avec sursis et 30 000 euros de
dommages et intérêts pour harcèlement sexuel à
l’encontre de deux comédiennes à qui il avait
fait faire des essais érotiques. Dossier glauque
dans lequel se mêlent des ambitions déçues et
des jalousies vindicatives, des pratiques sans
doute limites d’un cinéaste charismatique et
une levier de boucliers de la part de
l’intelligentsia parisienne, outrée du « procès
en perversité » fait à un artiste
reconnu et respectable. Sans doute, personne
n’est-il tout noir ou tout blanc dans une
affaire dont on aurait pu au moins espérer
qu’elle débouchât sur un bon film.
En
mettant en place le projet des Anges
exterminateurs, Jean-Claude Brisseau
vise un double objectif : celui logique et
cohérent de faire le deuil de sa tragique mésaventure
et celui autrement plus ambitieux de proposer une
réflexion sur le mystère du plaisir féminin. Il
met donc en scène François – double patenté
auquel il prête d’ailleurs sa voix off - ,
metteur en scène s’apprêtant à tourner un
film policier pour lequel il réalise de courts
essais pour une scène de nu. Constatant le
plaisir que peuvent éprouver certaines femmes par
la transgression de petits interdits érotiques,
il décide de changer de genre pour mettre en œuvre
une fiction très documentée traitant de la
sexualité féminine.
Après
un casting au cours duquel beaucoup de jeunes
filles, à peu près toutes identiques, soit
jeunes, jolies et bien faites, - les autres
n’ont sans doute plus droite à une vie sexuelle
-, déclinent l’offre intrigante de François,
celui-ci parvient à trouver deux apprenties
actrices qui acceptent de tourner des bouts
d’essai effectivement plutôt chauds sous son
regard entomologique et ses indications précises.
Il y a une scène particulièrement pénible dans
un restaurant de luxe où François oblige
Charlotte et Julie à se caresser, retirer leur
culotte, se frôler avec sensualité avant de
passer dans l’hôtel d’en face pour une
prolongation torride.
Comme
il s’agit pour Jean-Claude Brisseau
d’illustrer aussi ce qui lui est arrivé, le
film se poursuit avec la trahison des deux filles
auxquelles s’est adjointe la serveuse du
restaurant, relançant du même coup les questions
philosophiques de l’auteur.
On
est tout bonnement effarés de voir un film aussi
pitoyable, ringard, complaisant et narcissique.
Pitoyable parce qu’il limite la sexualité de la
femme aux relations saphiques et à la caresse
solitaire, parce qu’on ne voit jamais en quoi il
y a le moindre plaisir ou la moindre
transgression. Ringard car l’esthétique et le décorum
du film ont plus à voir avec ceux des films érotiques
que M6 diffusait à une époque le dimanche soir (
chambres d’hôtels luxueuses au mobilier kitsch
et aux tentures pesantes, champagne qui coule à
flot ). Complaisant et narcissique, parce que Brisseau
se donne le beau rôle en la personne de François :
être fascinant dont les innocentes victimes ne
peuvent que tomber amoureuses, être pur et dénué
de toutes intentions malsaines, juste travaillé
par la démarche artistique.
Peut-être
Brisseau est-il tout cela, mais Les
Anges exterminateurs, qui souffre en plus de
verser dans un fantastique de pacotille ridicule
(la présence ramenée de l’au-delà de la
grand-mère de François et les anges protecteurs
qui pour le coup ont un sexe), tombe complètement
à côté de la plaque, en produisant l’effet
inverse : nous montrer un pauvre cinéaste
libidineux et prétentieux, excité par la concrétisation
de fantasmes petits-bourgeois.
L’interdépendance
entre réalité et fiction, l’éthique que doit
se fixer un auteur auraient pu constituer le motif
central du film, directement inspiré des événements
récents vécus par le réalisateur. On en est
vraiment très loin.
Patrick
Braganti
Drame
français – 1 h 40 – Sortie 13 Septembre 2006
– Interdit aux moins de 16 ans
Avec
Frédéric Van Den Driessche, Maroussia Dubreuil,
Lise Bellynck
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