Il
y a fort à parier que tous ceux qui aimèrent Locataires
l’an passé éprouvent le même plaisir à voir
aujourd’hui April snow, dont les points
communs avec le film de Kim ki-duk ne se
limitent pas à la mise en scène d’une histoire
d’amour.
In-su,
31 ans régisseur sur des concerts, et Seo-young,
27 ans et femme au foyer, se retrouvent au chevet
de leurs conjoints respectifs, responsables d’un
tragique accident de voiture. En récupérant
leurs affaires et en écoutant les messages de
leurs portables, In-su et Seo-young découvrent la
liaison amoureuse des deux accidentés. Ebranlés
par la révélation, déchirés entre l’amour et
la colère, ils se rapprochent progressivement
dans le partage de leurs peines.
Comme
dans Locataires, l’expression des
sentiments intérieurs et même extérieurs passe
très peu par la parole. Ici, le langage est celui
du corps, d’abord recroquevillé et en pleurs,
à l’annonce de la nouvelle, puis s’ouvrant à
l’autre dans des étreintes de soutien plus que
délibérément charnelles. Le rapprochement entre
les deux laissés-pour-compte prend déjà la
forme d’une punition infligée aux deux
hospitalisés, avant de devenir plus sérieux
jusqu’au cruel dilemme du devenir de cette étrange
relation à l’éventuelle sortie de coma de
ceux-là. In-su et Seo-young ont donc tout le
temps de passer par toute une palette de
sentiments les concernant eux, mais concernant également
l’état de leur mariage. Sera t-il possible de
continuer comme avant, comment vivre avec cette
trahison ? Une situation presque
rocambolesque source de traumas et de déchirures
pourtant traitée avec délicatesse et tendresse. April
snow est baigné d’une lumière douce et
soyeuse, allant jusqu’à rendre amical l’hôpital
et ponctué par une mélodie au piano mélancolique.
Parce
qu’ils sont jeunes et beaux, victimes
malheureuses, on compatit beaucoup à ce qui
arrive à In-su et Seo-young, rejetant dans la
position de traître et de déloyal le couple
adultérin, sans que l’on sache quoi que ce soit
de la nature, de la force, voire de la légitimité,
de l’autre liaison. En mettant en parallèle une
liaison extra-conjugale et un « love in
progress » par ricochet lui aussi
hors-la-loi, Hur Jin-Ho interroge la différence
entre liaison et histoire d’amour. Il n’est
d’ailleurs pas du tout sûr qu’il y en ait
une, la première réservée à tous les autres,
donc dévalorisée ou bafouée, la seconde à
soi-même, donc magnifiée et transcendée.
Ainsi
l’histoire d’amour est-elle belle, mais peut-être
pas très morale. En tous cas, elle est rendue
possible parce qu’une précédente, cachée et révélatrice
d’infidélité, a existé. Pour In-su, la vie
bascule et lui ouvre une porte dont il ne soupçonnait
même pas l’existence. Pour Seo-young mariée
par arrangement, la rencontre avec In-su a quelque
chose de stimulant et éveille des sentiments
qu’elle n’a probablement jamais éprouvés
avec autant d’intensité.
Hur
Jin-Ho a bien sa place au sein de Hallyu,
la nouvelle vague coréenne de cinéastes qui
connaissent à la fois les honneurs des grands
festivals internationaux et la récompense du succès
public, aussi bien en Asie que dans le reste du
monde. April snow séduit par son élégance
et sa retenue, sa poésie à laquelle la neige
tardive et printanière n’est sans doute pas étrangère,
et surtout l’interprétation de ses acteurs. En
y réfléchissant et pour résumer, April snow,
c’est un peu le développement et la conclusion
heureuse de In the mood for love. C’est
tout dire…
Patrick
Braganti
Drame
sud-coréen – 1 H 45 – Sortie le 12 Avril 2006
Avec
Ye-jin Son, Yong-joon Bae
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