En
2002, Wesh wesh, qu’est-ce qui se passe ?,
premier long métrage de Rabah Ameur-Zaïmeche,
avait reçu un accueil critique dithyrambique,
pleinement justifié au regard de l’approche
novatrice, dénuée de toute idée alarmiste, du
monde de la banlieue. Dans ce film, le jeune réalisateur
jouait Kamel. En tant que victime de la double
peine, Kamel vivait son retour dans sa cité sous
le signe de la dualité : à la fois élément
constitutif de sa communauté et pièce rapportée.
A
voir Bled number one, on comprend vite que
les deux films constituent un diptyque : après
avoir placé sa caméra dans le pays d’accueil,
le cinéaste choisit en toute logique le pays
d’origine. Le même Kamel, toujours interprété
par Rabah Ameur-Zaïmeche, arrive en Algérie
à sa sortie de prison, situant le temps du film
avant celui de Wesh wesh, qu’est-ce qui se
passe ? et retrouve une position
identique d’homme dans et hors la place. Cet
exil forcé dans un pays dont il ne connaît peu
de choses le contraint à observer avec lucidité
une contrée en pleine effervescence, tiraillée
entre modernité et conservation des traditions
ancestrales. Même si Kamel en est le fil
conducteur, Bled number one ne se limite
pas à son seul parcours. En totale immersion, le
film, qui fonctionne sur la sensation, est une
succession de tableaux, comme autant d’instantanés
de la vie d’un village et de ses habitants.
Toujours coiffé d’un bob orange, qui
l’identifie aisément au sein du groupe, Kamel
exprime son incompréhension révoltée vis-à-vis
des considérations épouvantables dans lesquelles
certaines femmes rebelles sont tenues – et en
particulier Louisa, elle aussi de retour au bled,
rejetée par son mari qui nie ses désirs de
devenir chanteuse et répudiée par sa mère et
son frère qui lui reprochent de les couvrir de
honte. Il est tout aussi désemparé par la
violence tendue entre les villageois et un gang de
jeunes hommes, sortes d’intégristes religieux,
mais le réalisateur ne nous en dit pas plus.
Tout
comme il ne fournit pas d’explications ni ne démontre
jamais rien. Néanmoins, il ne se contente pas de
montrer comme le ferait un banal documentaire ancré
dans le réel. Bled number one, par ses
partis pris de mise en scène – longs plans
fixes investis par les personnages – et son
approche respectueuse et décalée de l’Algérie
est donc bien plus que cela. Soit l’œuvre
d’un cinéaste qui se révèle dès son second
film, en état de grâce, auteur d’une véritable
écriture cinématographique. Il réussit ainsi à
capter et à rendre la notion du temps suspendu,
l’omniprésence du groupe, le poids des
traditions – filmage en temps réel du sacrifice
d’un taureau dont la viande sera ensuite partagée
entre tous les habitants – et fait de Bled
number one un récit élégiaque. Dans lequel
le spectateur devra lui-même s’immerger pour un
voyage sensoriel et empreint d’émotions.
Avare
de dialogues, Bled number one , à la fois
maîtrisé et en roue libre, intelligent et
exigeant, privilégie les échos de la nature, le
vent dans les arbres et le ressac des vagues dans
une scène de bord de mer époustouflante.
L’apparition soudaine du musicien Rodolphe
Burger et de sa musique organique comme refuge
solitaire des états d’âme de Kamel entraîne
le film vers des confins plus mentaux et
abstraits. S’il offre une ode incantatoire à
son pays originel, Rabah Ameur-Zaïmeche offre
aussi au cinéma français une participation qui
l’honore. Un tel envol, une telle vision
personnelle et humaniste au bout seulement de deux
films font rentrer le jeune réalisateur dans la
cour des grands.
Patrick
Braganti
Drame
français – 1 h 37 – Sortie le 7 Juin 2006
Avec
Rabah Ameur-Zaïmeche, Meriem Serbah, Abel Jafri
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