On
a déjà glosé sur l’étonnante capacité de Tarantino
à recracher les images qu’il a dévorées toute
sa vie, mais sa cinéphagie a le mérite non
seulement de nous surprendre
mais également de remettre à la surface
des pépites oubliées du cinéma de genre. En
l’occurrence, le cinéaste américain fait
briller les films graisseux (appelés Grindhouse)
qui ont nourrit les vielles salles délabrées de
l’Amérique populaire. Deux films pour le prix
d’un, on ressortait bien calé. (R. Rodriguez a
réalisé le second volet, mais on peut regretter
que le diptyque ne soit pas reconstitué en
France). Avec Boulevard de la mort, Tarantino
réalise un revenge movie, grande tendance
de la série B des 70’s, jouissif et goûteux.
Mais au-delà de la digestion tarantinesque, est
ce que le film vise plus loin que le potache
« sous la ceinture » qui l’a enfanté ?
Le
film met face à face un vieux cascadeur damné,
balafré, errant sur les routes désertiques du
middle-west, et, des jeunes filles sexy, bavardes,
traversant le dépouillement local afin de
rejoindre l’agitation de la fête. Stuntman Mike
(Kurt Russel) pourchasse les filles à bord de sa
voiture infernale, à l’épreuve de la mort (Death
Proof). Ce vieux loup séduit, babille face à
des jeunes filles qui le font passer pour un
fossile rockabilly, décrépit comme décollé de
l’image d’un drive-in.
Mais, cette homme est en chasse, littéralement
excité par celles qu’il poursuit, et son extase
n’adviendra uniquement que lorsqu’il aura pris
le dessus.
Tarantino
réutilise l’esthétique crade des films
Grindhouse, où le sexe, la sueur, le sang, la
poussière sont appelés au rang d’une beauté
marginale que Tarantino a toujours su
exhausser. Sa monomanie ira jusqu’à feindre le
vieillissement précipité d’une pellicule négligée
ou des coupes impromptues dues à un bricolage de
photogrammes.
Toute
la première partie nous offre un panorama des
représentations des hommes et femmes du cinéma
de genre : les filles parlent des mecs, les
mecs aiment les belles carrosseries, etc…Aussi
bien vulgaires que superficiels, les protagonistes
sont obsédés par le plaisir corporel, les
sensations absolues, jusque dans la déviance mécanique
pour Stuntman Mike.
Ces
rencontres vont donner lieu à une véritable
confrontation sexuelle qui finira forcément par
la mort. Le film vibre de la tension, des pulsions
qui ronronnent entre les deux sexes, jusqu’à la
jouissance finale quand l’un des corps lâche
prise. Tarantino filme cette guerre à la manière
d’une rencontre sexuelle, entre deux caricatures
galvaudées des genres : masculinité hyper
virile, voire machiste face à une féminité à
la fois précieuse et racoleuse.
Les
pulsations de Stuntman Mike rugissent sous la
capot de sa mythique voiture. Cet objet-fétiche
qu’il tient entre les mains entre dans un
rapport métonymique avec sa virilité, au sens
phallique. Sa Chevrolet se dresse à la vue des
filles, leur colle l’arrière train jusqu’à
l’épuisement des énergies.
Cependant
les rôles se renversent, dès que le cinéaste
iconoclaste s’amuse des codes qu’il avait
pourtant instaurés. Et lorsque Mike croise sur
son chemin des filles qui affichent cette même
fascination pour les voitures, la vigueur du
balafré s’affaisse devant le resserrement
vengeur des femmes, dans une course poursuite
finale harassante, qui retourne les forces établies.
Harnaché à la voiture, jambes écartées sur le
capot, la jeune femme ne désire que
l’assouvissement de son plaisir. Ici, la fille
et la voiture filante sont intriquées en un seul
corps insatiable. Et ce n’est pas Mike qui réussira
à les « satisfaire ». Geignard et
flasque, Mike s’écroulera sur le macadam assénés
par les derniers coups de boutoir des ses prétendantes.
Mais,
à ne pas se tromper, Boulevard de la mort est
une comédie, certes crue, certes violente, mais
extrêmement cocasse, si l’on voit le détachement
amusé du cinéaste sur les représentations
sexuelles, sur les réorientations qu’il donne
au Slasher. Avec allégresse, Tarantino,
spectateur fanatique, communie avec nous dans un
film que certains qualifieront de mineur, tout au
mieux de divertissant. Mais, n’oublions pas que
les films de genre des 70’s, sont peut être
ceux qui ont essayé de saisir au mieux la société
contemporaine…
Boulevard
de la mort
est un manifeste du plaisir féminin, un cri pour
le droit à la jouissance. Ces femmes modernes
enterrent la vision archaïque d’un plaisir
unilatéral et dominateur, d’un jouisseur égoïste
qu’elles combattent pour revendiquer la parité
sexuelle. Tarantino féministe ? Pourquoi
pas… Cependant, ce discours, comme ses références
cinéphiliques sont l’apanage des années 70.
Si, bien sûr, la question sur l’égalité des
sexes, aujourd’hui, n’est sûrement pas réglée,
son propos, bien que mis en scène avec une évidence
et flamboyance rare, est une refonte des idéologies
progressistes post-68. C’est bien là le
syndrome tarantinesque que de ne pouvoir se passer
de ses références.
Maxime
Cazin
Film
d’horreur/épouvante Américain – 1 h 50 –
Sortie : le 6 Juin 2007
Avec
Kurt Russel, Rosario Dawson, Rose McGowan, Quentin
Tarantino…
Plus+
www.grindhousemovie.net
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