N’est
donc pas Gus Van Sant qui veut, c’est en
fin de compte la première réflexion qui taraude
l’esprit du spectateur un tant soit peu cinéphile
à la sortie de la projection de Chacun sa nuit.
Pourquoi cette référence pesante et immédiate,
tant on n’associerait pas d’emblée le
conceptuel réalisateur de Elephant et le
beau ténébreux roi des profondeurs, nourri au
sein du Dogme par son mentor Lars Von
Trier ? Eh bien pour deux raisons évidentes :
la mise en scène d’un groupe d’adolescents
– catégorie appréciée des deux cinéastes à
la limite du même magnétisme – et
l’appropriation d’un fait divers caractérisé
par l’absence de résolution. Là s’arrêtera
la comparaison par trop défavorable au
cosmopolite Jean-Marc Barr.
Lucie
et Pierre sont frère et sœur, en osmose totale,
rapprochés par la disparition tragique de leur père
lorsqu’ils étaient enfants. En compagnie de
leurs trois potes Nicolas, Baptiste et Sébastien,
la fine équipe partage les aventures amoureuses,
les fêtes, le groupe de rock des quatre garçons.
A la disparition de Pierre retrouvé quelque temps
après battu à mort, Lucie se décide à trouver
le coupable de cet acte odieux. Elle découvre la
vie agitée de Pierre, sa bisexualité revendiquée,
son rapport complexe au corps dont il faisait
facilement commerce.
Au
fur et à mesure de sa douloureuse enquête, Lucie
sombre et finit par échouer en hôpital
psychiatrique où son thérapeute lui propose l’écriture
comme échappatoire salutaire. Lucie se replonge
dans des souvenirs qu’elle tente de
retranscrire, faisant sans cesse osciller Chacun
sa nuit entre présent et passé, vie actuelle
et flash-back.
Souhaitant
questionner le manque de repères grandissant dans
notre société contemporaine, le scénariste Pascal
Arnold et le photographe Jean-Marc Barr
se sont emparés d’un fait divers sordide
survenu dans le sud de la France. Armé d’une
caméra numérique, optant pour la prise de son
directe et des cadrages rapprochés, le duo
propose un film plutôt lent, aux nombreuses scènes
érotiques, entrecoupé de moments plus rythmés :
concerts du groupe et soirées en boîte de nuit.
Plus que les échanges verbaux qui ne sont
profonds qu’entre Lucie et Pierre, ce sont les
corps et leur sexualité qui sont ici les vecteurs
de l’identification de chacun et de son ancrage
dans la certitude d’être et d’exister. Dans
son rapport à la sexualité et à l’usage de
son corps, Pierre est celui qui recule le plus les
limites, sorte d’extrémiste qui en fait le
pivot de la bande, autour de qui se cristallisent
attirances, fascinations et jalousies.
Cette
brillante ambition affichée par Arnold et Barr
ne se concrétise pas réellement à l’écran.
Malgré un casting impeccable de jeunes comédiens
choisis pour leur aisance avec leur physique, Chacun
sa nuit ne décolle jamais, prisonnier du
regard nostalgique et décalé des deux réalisateurs
quadragénaires sur une jeunesse qui les fascine
et les inquiète, sans pour autant qu’ils
sachent en restituer les caractères autres que
ceux mille fois vus et entendus. C’est dommage
car il est indéniable que Jean-Marc Barr a
un regard de photographe, qu’il sait utiliser la
lumière chaude et solaire de la Provence, possède
une approche sensuelle des corps adolescents –
surtout ceux des garçons.
Manifestement
dépassés par leur sujet, les deux compères hésitent
trop longtemps entre l’étude de mœurs et
l’enquête policière et ne parviennent pas à
se débarrasser de la complaisance béate à
l’encontre de leurs personnages.
Patrick
Braganti
Drame
français – 1 h 35 – Sortie le 20 Septembre
2006 – Interdit aux moins de 12 ans.
Avec
Lizzie Brocheré, Jean-Christophe Bouvet, Valérie
Mairesse...
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