Chemins
de traverse de
Manuel
Poirier
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Manuel
Poirier
est de retour en Bretagne où il avait tourné un de ses
meilleurs films à ce jour : Western. Western,
c’était la balade en roue libre de deux paumés, Paco
et Nino qui allaient de rencontres en rencontres,
cocasses, drôles et tendres. Dans une Bretagne
verdoyante et lumineuse, Western était léger, aérien
et plein d’optimisme, prouvant le regard empathique du
réalisateur.
Six années plus tard, nous voici de nouveau avec deux
paumés, deux « égarés de la vie ».
Ou plus exactement un homme adulte instable et roublard :
Victor (Sergi Lopez, acteur fétiche de Poirier,
plutôt plus sobre qu’à l’accoutumée) qui entraîne
dans ses errements son fils Félix (Kévin Miranda,
une révélation, petit mec têtu et taciturne, à la
parole rare et malaisée, au regard profond et
scrutateur).
Dans
la première partie, le père et le fils changent sans
cesse de logements, ce qui n’aide pas à la stabilité
de l’adolescent ni à celles de leur relation. Victor
oscille entre Roselyne (Lucy Harrison à la
poitrine généreuse), une chanteuse imitatrice de Piaf
un peu ringarde et Myriam (Mélodie Marcq), une
jeune fille férue d’astrologie et de thèmes astraux.
Félix doit subir en changeant régulièrement d’école
et regarde tout cela avec beaucoup de recul ; les
conseils qui lui adresse Victor semblent d’abord être
adressés à lui-même, brouillant les pistes entre les
rôles respectifs. Félix semble plus adulte, plus mûr
et plus responsable que son père, beau parleur et
escroc à la petite semaine. Cette première heure
manque de rythme, frise l’ennui et la déception
commence à nous envahir. Les scènes de repas sont
nombreuses mais nettement moins gaies et roboratives que
celles des précédents films de Poirier.
Mais, à la suite d’une nouvelle fuite provoquée par
la revente illicite de meubles volés, le film bascule
soudain au détour d’une route, une fin de nuit de
cavale. Victor révèle la cause de la brouille avec sa
famille et les conditions de la naissance de Félix,
dont Cécile la mère est morte il y a quelques années.
Finis
l ‘ennui, les sourires un peu crispés, le film
devient sombre et grave et gagne énormément en émotion.
C’est donc la plus belle partie du film dans laquelle
les barrières tombent et les sentiments s’expriment.
Nous soufflons, trop ravis de retrouver le Poirier
plein d’humanité et de tendresse pour ses
contemporains. Celui qui sait s’attacher aux gens
simples et nous les rendre proches et complexes.
En
dédicaçant son film à « l’amour partagé »,
on comprend mieux l’ambition du réalisateur qui fait
de l’amour filial un poignant sujet de film. Les
derniers instants du film à l’intensité
bouleversante emportent l’adhésion : Poirier,
après une escapade péruvienne peu convaincante et un Les
femmes…les enfants d’abord… revient en beauté,
plus sombre et moins léger, mais toujours confiant et
émerveillé par la nature humaine.
La
mer est omniprésente dans ce film, proposant donc une
version plus ouverte de la Bretagne, à la différence
de Western. Félix est attirée par elle, il
regarde les bateaux et les hommes qui y travaillent.
Elle est prétexte à de belles déambulations et
constituent aussi le théâtre d’un cheminement :
celui d’un père vers son fils. Tout simplement fort
et beau. En se concentrant sur ce duo père-fils et en
privilégiant l’épure, Manuel Poirier signe un
de ses plus beaux films.
Patrick
France
- 1h41 - sortie nationale 10 mars 2004
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