En
dépit de son dispositif très simple, La
Consultation est un documentaire riche de
sens, questionnant en profondeur le spectateur
dans son rapport au corps et à sa santé et dans
sa propre perception du métier de médecin. Hélène
de Crécy a en effet investi – et on imagine
aisément cette ingérence comme la plus
progressive, la plus discrète possible – le
cabinet de Luc Périno, médecin généraliste
lyonnais. Le film se présente donc comme une
succession de consultations agrémentées de
quelques visites à domicile et des commentaires
de Luc Périno sur sa profession, l’état de la
médecine et du monde en général. En estimant
les propos du toubib un tantinet moralisateurs et
donneurs de leçons, on aura évacué le seul
point noir du film, nous autorisant dès lors à
examiner tous ses points extrêmement positifs.
A
travers les consultations, Hélène de Crécy
brosse en creux l’état des lieux d’une société
en mauvaise santé mentale. Car on constate vite
que Luc Périno soigne avant tout les bleus à
l’âme, les déprimes légères, les dépressions
sous-jacentes prêtes à survenir, toutes des
pathologies affectant le mental et ressurgissant
sur le physique : bouffées d’angoisse,
problèmes de sommeil, gênes respiratoires, dépendances
à la cigarette, à l’alcool ou aux médicaments.
Ainsi le docteur Luc Périno tient tout à la fois
de l’assistante sociale, du conseiller familial,
de l’infirmier et du pharmacien. Et la première
question qui affleure inévitablement est celle de
savoir comment un homme confronté à tant de misères
et de mal-être parvient à continuer à exercer
son métier – ou plutôt son sacerdoce – et à
conserver la juste distance avec ses patients,
distance qui n’exclut aucunement l’empathie et
la compassion. La seconde interrogation plus
philosophique est de savoir en définitive ce
qu’est un bon médecin : celui qui, pétri
de connaissances scientifiques, élabore les
diagnostics les plus adéquats et prescrit ensuite
les traitements les plus efficaces ou celui qui
met sa compétence – qui est d’abord sa
capacité à avoir mémorisé des quantités
d’informations pendant de longues années d’études
– au service de l’écoute des maux de ses
patients. On penchera de toute évidence pour la
seconde alternative et La Consultation
prouve aisément que Luc Périno fait partie de la
catégorie de médecins humanistes, devenus, comme
il l’analyse lui-même, le fond de l’entonnoir
sociétal où se déversent tous les
dysfonctionnements de la société.
Avec
un sujet si peu sexy, introduit par une scène
(volontairement ?) choc ne cachant rien de
l’agonie déchirante d’un vieil homme, on s’étonne
soi-même de sourire, et même rire, devant des situations que l’on pourrait juger
caricaturales et que deux médecins présents à
l’issue de la projection auront tôt fait
d’apparenter à leur quotidien laborieux. Au-delà
des moments cocasses (une femme consultant avec sa
liste préétablie de médicaments comme si elle
était au supermarché), ce sont aussi de véritables
et si banales tragédies qui se déploient dans le
cabinet. Un jeune couple d’étudiants soudain désemparé
et placé devant une décision terrible à propos
d’une interruption volontaire de grossesse. Une
mère impuissante à gérer la schizophrénie de
son grand fils. Une autre vieille femme qui confie
son désir d’en finir, de ne plus arriver à se
supporter. Une jeune asiate épuisée par son
travail débilitant dans un centre d’appels…
La
Consultation, c’est donc à travers le
prisme d’un cabinet médical l’échantillonnage
– hélas, très représentatif – d’une société
malade qui ne sait plus comment donner un sens à
son existence. Pour traduire toutes ces
souffrances, on se dit qu’il n’y a pas mieux
que la captation nuancée de Hélène de Crécy.
Ainsi son documentaire pourra t-il être considéré
comme la meilleure adaptation – certes éloignée
dans sa forme, mais très proche dans son esprit
– du formidable bouquin de Martin Winckler :
La Maladie de Sachs.
Jamais
impudique ni voyeuriste malgré une approche
frontale et sans fioritures rendue possible par
l’acceptation des patients toujours tenus dans
le plus profond respect, La Consultation
travaille aussi sur l’intimité et ne peut déclencher
chez le spectateur qu’une réaction
d’identification.
Patrick
Braganti
Documentaire
français – 1 h 31 – Sortie le 21 Mars 2007
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