Crossing the bridge (the sound of Istanbul) de
Fatih Akin
[3.0]
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Lorsque Fatih Akin dut choisir une partition
musicale pour Head-on (2004), il fit appel à Alexander
Hacke, bassiste du mythique groupe de rock
industriel Einssturzende Neubaten, au nom aussi
imprononçable que ses œuvres déconcertantes. Embarqué
à Istanbul où la moitié du film se situait, Hacke
tomba littéralement amoureux de la ville et de ses
ambiances. En tant que collectionneur de musiques et expérimentateur
de sons, il souscrivit avec plaisir au projet du cinéaste
de réaliser un documentaire présentant l’état
actuel des courants musicaux turcs avec en toile de fond
l’état du pays.
Locataire
de l’hôtel Buyuk Londra Oteli (Grand Hôtel de
Londres) dans le quartier Beyoglu, ancien quartier mal
famé, aujourd’hui très européanisé et très branché,
Alexander Hacke a dans ses bagages non seulement
son instrument fétiche, mais aussi son studio mobile
d’enregistrement et son micro avec lequel il part
capter toutes les sonorités stambouliotes.
Il
est difficile en découvrant Istanbul de ne pas penser
à un certain nombre de clichés qui collent dur à
l’histoire de la ville triplement baptisée, à
l’exact carrefour de l’Occident et de l’Orient, réceptacle
logique de toutes les cultures, produit évident des métissages.
Dans son désir de dresser un tableau le plus exhaustif
possible de la musique à Istanbul, Crossing the
bridge relaie évidemment ce brassage ethnique et
culturel dans une énumération foutraque qui ne semble
obéir qu’à l’humeur folâtre et vagabonde de Hacke
et au hasard de ses rencontres.
Son
immersion turque débute par deux groupes de rock dont
il assure l’intérim du bassiste défectueux et
continue avec les milieux hip-hop de la ville. On est de
suite frappés en écoutant ces musiciens de la
contradiction originelle dans laquelle tous avouent se débattre :
sans renier leurs origines et leur identité profonde,
ils reconnaissent aussi l’influence occidentale,
manifestée ici dans les comportements et les tenues
vestimentaires. Istanbul pour le coup apparaît très
moderne, occidentalisée à l’extrême et on comprend
d’autant mieux le discours hautement politisé de ces
groupes qui regardent avec les yeux de Chimène la
proche Europe.
C’est
en se coltinant aux courants traditionnels largement
dominés par les minorités kurdes et rom que Fatih
Akin donne à son documentaire plus d’authenticité
et de caractère, impression renforcée par les
personnalités fortes de ces joueurs d’oud et autres
luths. Ainsi Alexander Hacke rencontre quelques
« vieilles » gloires locales : un
chanteur devenu vedette de télé, une chanteuse de 82
ans qui a soigné ses problèmes de bégaiement par le
chant, un derviche tourneur qui nous livre les secrets
de sa tenue et de son art. Tous des personnages hauts en
couleur qui ont connu les moments où la Turquie était
moins ouverte, celle qui interdisait la diffusion à la
radio de la langue
- et donc de la musique – kurde alors que les
morceaux américains et européens passaient sans relâche.
A
travers ce melting-pot qui juxtapose styles et générations,
Fatih Akin sans doute marqué par ses propres
origines en profite pour dresser en filigrane le
portrait d’une capitale en pleine mutation. Cette
ville passerelle symbolisée par le pont qui enjambe le
Bosphore et relie les deux continents tente
aujourd’hui de réduire les écarts entre tradition et
modernité, entre les ethnies diverses et souvent opposées.
Dans cet objectif, la musique est sans doute un des
meilleurs vecteurs d’émancipation. A Istanbul, elle
est omniprésente sur les toits, sur les bateaux, au
fond des bars et même dans la rue pour les jeunes
danseurs de breakdance. Alexander Hacke l’a
parfaitement assimilé en engrangeant des heures
d’enregistrement. En quittant la ville dont il reconnaît
l’avoir seulement effleurée et humée, il confesse en
être toujours amoureux.
Patrick
Braganti
Film
Turc, allemand – 1 h 32 – Sortie le 13 Juillet 2005
Avec
Alexander Hacke
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