La
première scène du premier long-métrage de Brice
Cauvin, précédant le générique, situe
d’emblée les deux personnages principaux :
on y voit Philippe courir comme un dératé pour
rattraper sa jeune épouse Marion devant leurs
deux enfants sages comme des images, assis sur un
canapé. La couleur est annoncée : mélange
des genres, situations ubuesques pouvant déconcerter
le spectateur à qui on laissera par la suite
toute latitude à interpréter, à trouver ses
propres clefs.
L’étrangeté
du film prend toute sa signification lorsque
Philippe et Marion, projetant des vacances à
Venise, décident en fin de compte de ne pas y
aller, mais de n’en rien dire à leurs amis et
leur famille. Une décision illogique, peut-être
provoquée parce qu’ils ont récupéré dans le
hall d’une gare le bagage d’un voyageur négligent,
qui se révélera contenir une petite fortune. A
partir de cet incident croustillant, le doute et
la peur s’installent au sein du couple jusqu’à
se transformer en panique pour Philippe, en dépression
pour Marion et ébranler les bases de leur union.
Mélange
des genres, disions nous, c’est tout aussi vrai
pour ce qui est de qualifier le film :
fantastique, thriller ou chronique en roue libre
de la crise d’un couple, comédie du remariage
sans réelle séparation ? Esprits cartésiens
s’abstenir car Brice Cauvin nous
trimballe sans trop nous fournir d’explications.
De
particulier à particulier est régi par le
principe de l’incertitude et du doute, qui pour
le réalisateur n’est nullement un signe de décomposition
du couple, lequel se construit aussi à travers
les moments difficiles et fragiles. Le mensonge
innocent auquel se livrent Philippe l’inquiet
naturel et Marion la fantasque finit par ricocher
de manière inattendue : s’appropriant la
paranoïa ambiante, relayée par les média en ces
temps d’attentats et de terrorisme, ils se
persuadent d’être impliqués dans une histoire
de terrorisme (la valise bourrée de billets) et
se trompent du coup sur le motif de leur angoisse.
Pour Philippe et Marion, l’affabulation
protectrice et ludique dissimule la vraie peur à
gérer leur vie, à se comporter comme deux
adultes devant éduquer leurs deux garçons,
envisager un déménagement, bref assumer leur
fonction sociale.
Issu
d’une famille bourgeoise – sa mère passe son
temps à dévaliser les salles des ventes et à
ramener à sa belle-fille des tas d’objets -,
Philippe est incapable de s’engager dans
l’acquisition d’un appartement, dans son
travail d’architecte dont il sera d’ailleurs
viré. Doubleuse pour des séries télé, Marion
est tout aussi puérile et irresponsable. Fable et
parabole érigées en art du vagabondage, De
particulier à particulier ne s’inscrit guère
dans le réel, tant Philippe et Marion paraissent
éloignés des contingences matérielles.
L’ancien
assistant réalisateur qui a fourbi ses armes auprès
de Philippe Harel, Pierre Salvadori ou encore
Nicole Garcia, réussit un premier long-métrage
en tout point cohérent, flirtant avec
l’abstraction et travaillant sur la suggestion
permanente toujours
déroutant et fantaisiste. Et sans doute parce que
Hélène Fillières est au générique,
pense t-on aussi à l’œuvre de sa sœur Sophie,
dont Gentille présente des similitudes
avec De particulier en particulier. Tout
comme avec Un homme, un vrai, radiographie
du couple des frères Larrieu, où la
longiligne Hélène faisait déjà sensation. La
boucle est bouclée…
Patrick
Braganti
Comédie
dramatique française – 1 h 34 – Sortie 19
Avril 2006
Avec
Laurent Lucas, Hélène Fillières, Anouk Aimée
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