cinéma

Le Direktor de Lars von Trier

[3.0]

 

 

De loin en loin, il faut bien avouer que Lars von Trier a chu de son piédestal trop vite érigé sur des fondations mouvantes et le cinéaste danois, dont l’œuvre se décompose en trilogies consécutivement consacrées à l’Europe, aux « cœurs d’or » et à se vision plutôt iconoclaste de l’Amérique, a fini par décevoir et lasser. L’expérimentation à tout prix doublée d’une roublardise indéniable ne produit plus que des formes conceptuelles dont la présupposée audace ne trouve guère d’écho, ni auprès d’une critique blasée ni face à un public désappointé.

 

L’annonce que Lars von Trier avait tourné une comédie, prenant place, qui plus est, dans son pays d’origine, alléchait donc. Au final, le plat servi, s’il n’est pas indigeste, nous laisse un peu sur notre faim et n’a rien de roboratif.

Le Direktor en question, c’est en fait un comédien de seconde zone recruté par le propriétaire d’une société informatique décidé à se séparer de son entreprise et du même coup de son équipe rapprochée. En effet, pour mener ce projet à bien auprès des éventuels acquéreurs islandais qui ne veulent traiter qu’avec l’échelon le plus élevé de la hiérarchie, le patron voyou a recours à ce subterfuge lâche et pratique qui lui permet de se retrancher derrière Le Direktor prête-nom et par la même occasion d’éviter la suspicion de ses collègues.

 

C’est du décalage et de la multiplication des quiproquo que naît la comédie et son lot de rires plus ou moins jaunes et grinçants. Kristoffer, l’acteur au chômage, visiblement dépassé par les modes de fonctionnement de l’entreprise, se retrouve pieds et poings liés, à la merci du manipulateur et peu scrupuleux patron. Le Direktor est principalement un huis clos – les bureaux et les salles de réunion de la société – entrecoupé par les rendez-vous de mise au point du comédien et de son commanditaire dans des endroits plutôt étranges : fête foraine, zoo,…

En complet porte-à-faux, Kristoffer doit subir l’agression d’un chercheur énervé, les crises de nerf de la préposée aux photocopies dont le mari, salarié congédie, s’est pendu, l’agression sexuelle d’une collaboratrice et le projet de mariage avec une autre employée tout en devant souscrire aux exigences du patron : signer le contrat de vente de la société au plus vite.

 

Derrière l’apparente comédie loufoque dont le ressort est aussi assuré par l’atmosphère déliquescente d’une entreprise où tout le monde semble ahuri, complètement à l’ouest, se profile une charge féroce contre le capitalisme financier et ses dérives qui conduisent au sacrifice de milliers de personnes. En formaliste émérite, Lars von Trier recourt à un dispositif en totale adéquation avec son sujet : comme il n’y a pas de véritable direction à la tête de cette société à vendre, il n’y a pas non plus de directeur de la photo, lui aussi remplacé par un ersatz fantoche qui a pour nom Automavision, un procédé de cadrage assisté par ordinateur. Ce qui donne des images souvent décadrées où les personnages sautillants se déplacent selon une logique qui semble leur être propre et nous apparaît farfelue, voire incongrue. La technique ainsi utilisée en parfaite corrélation avec le propos s’avère payante et éprouve nettement moins le spectateur que les filmages caméra au poing qui firent les riches heures du Dogme.

Bien moins prétentieux que les opus précédents du cinéaste, Le Direktor constitue cependant un film à plusieurs niveaux de lecture, permettant ainsi à chaque spectateur d’y trouver son compte, de la franche rigolade un brin surréaliste à l’appréhension plus pessimiste et sérieuse d’un monde aux mains des financiers sans états d’âmes, surtout quand il s’agit d’islandais fort en gueule, écœuré par le sentimentalisme proverbial des Danois…

 

Patrick Braganti

 

Comédie danoise – 1 h 40 – Sortie le 28 Février 2007

Avec Jens Albinus, Peter Gantzler, Fridrik Thor Fridriksson