La
figure somme toute énigmatique du garde du corps
est une figure récurrente du cinéma avec des résultats
plus ou moins convaincants. Des films mineurs
comme Bodyguard (1992) ou Le Garde du
corps (1984) ne polluent guère la mémoire du
cinéphile. Il devrait en aller autrement avec le
premier film de Rodrigo Moreno, jeune réalisateur
argentin qui vient grossir les rangs de plus en
plus fournis d’une cinématographie sud-américaine
en plein essor.
Projet
né de l’observation de deux gardes du corps et
d’une enquête plus approfondie sur leur
travail, El Custodio met en scène le point
de vue de Ruben, attaché à la protection très
rapprochée du Ministre de la Planification
qu’il suit comme une ombre dans le moindre de
ses déplacements, aussi bien dans ses obligations
liées à sa fonction que dans le cadre de sa vie
privée. Toute la tâche de Ruben consiste à être
à la fois présent et le plus discret et
silencieux possible, d’être en quelque sorte
transparent, à la limite de l’invisible.
C’est pourquoi Rodrigo Moreno opte t-il
pour un film silencieux, un monde presque sans
mots, du moins ceux prononcés par Ruben. Car de
leur côté le ministre et ses équipes ne sont
pas friands de palabres ni de conversations téléphoniques
rivés à leur téléphone portable.
El
Custodio utilise également le contraste des
deux mondes de Ruben : le professionnel et la
sphère privée. Le premier aseptisé et
strictement encadré par des usages protocolaires
baigne dans une lumière froide qui nimbe un
univers de dirigeants en costumes sombres, à bord
de grosses berlines impeccables. Le second est
nettement moins bien ordonné. Le chaos y règne.
L’appartement de Ruben est sordide et bordélique
et son proche environnement (sa sœur malade, sa
nièce qui se rêve future chanteuse et quelques
connaissances guère plus réjouissantes) ne
laisse pas entrevoir une vie agréable.
Pour
Ruben, dont le passé est juste évoqué au détour
d’une courte discussion avec un collègue,
l’obligation de n’avoir jamais à se faire
remarquer et à devoir subir de petites mais réelles
humiliations (chercher à la sortie de l’école
la fille capricieuse du ministre et son petit
copain, devoir dessiner le portrait d’un ami
français du ministre) pèse chaque jour davantage
sur ses épaules.
A
force de vivre par personne interposée sans
jamais exprimer ses propres désirs ni même ses
idées, le garde du corps en devient indéchiffrable
à notre regard et peut-être schizophrénique
dans sa tête, réduit à un rôle de meuble décoratif,
à la disposition d’un homme de pouvoir qui le
considère comme sa chose.
Si
El Custodio vaut beaucoup par son sujet même
et l’interprétation monolithique et épurée de
Julio Chavez, ce sont aussi les partis pris
formels de mise en scène qui lui en donnent toute
sa saveur et en font un vrai régal. C’est peu
de dire que Rodrigo Moreno soigne ses
cadres en faisant de Ruben l’homme qui attend
patiemment derrière des portes qui lui sont systématiquement
fermées au nez. Une attente passive et soumise
qu’il reproduit – malgré lui ? – lors
de sa visite chez la prostituée. El Custodio
peut être vu aussi comme une sorte de mise en
abyme dans laquelle la caméra du réalisateur
devient à son tout le garde du corps de Ruben.
Film
lent, implacable et ambitieux, El Custodio
dépeint brillamment la tragédie d’un homme nié
dans sa propre existence. Une réussite et un
nouveau cinéaste à suivre . tant mieux.
Patrick
Braganti
Drame
argentin – 1 h 33 – Sortie le 4 Avril 2007
Avec
Julio Chavez, Osmar Nunez, Cristina Villamor
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