cinéma

Entre ses mains de Anne Fontaine 

[2.0]

 

 

    A la sortie de la projection d’Entre ses mains, deux évidences sautent aux yeux : le cinéma de Fontaine se tarit de film en film et travailler dans les assurances ne protège d’aucun danger.

 

    Pour ce qui est du premier constat, force est d’avouer que la prometteuse réalisatrice de Les histoires d’amour finissent mal… en général, confirmant avec le troublant Nettoyage à sec et l’ambitieux mais maîtrisé Comment j’ai tué mon père, après nous avoir déçus avec le pseudo-sulfureux Nathalie, ne remonte pas beaucoup dans notre estime.

La seconde réflexion a bien sûr à voir directement avec le contexte du film. En effet, l’héroïne Claire travaille dans un cabinet d’assurances chargée d’expertiser les sinistres de ses clients. Claire, jeune lilloise bon chic bon genre, mène jusque là une vie bien terne entre son job, sa petite fille Pauline, son mari Fabrice photographe amateur qui essaie tant bien que mal de vivre de son art et sa meilleure amie et collègue Valérie. Suite à un important dégât des eaux, elle reçoit la visite de Laurent, vétérinaire de métier, avec qui se noue très vite une relation ambiguë dépassant le strict cadre du travail de Claire. Il est vrai que Laurent est à la fois beau parleur, charmeur, très honnête sur ses intentions envers les femmes qu’il aime séduire, mais dont il ne peut jamais durablement tomber amoureux. Parallèlement, un tueur en série sévit sur la région, perpétrant ses atroces crimes envers de jeunes femmes à l’aide d’un scalpel. Le doute commence à s’immiscer dans l’esprit de Claire, de plus en plus vacillante sous l’emprise de Laurent.

 

    Anne Fontaine aime les ambiances troubles et les zones de frontières où tout peut basculer, où la routine d’un couple est soudain mise à mal par l’arrivée d’un tiers porteur de renouveau et de folie, que ce soit par l’embauche d’un jeune paumé, le retour d’un père ou le marché de dupes conclu avec une prostituée. Ici le trublion prend les traits d’un étrange séducteur qui pourrait se doubler d’un cruel meurtrier. Il y a de quoi de faire chanceler la morne Claire car Entre ses mains est d’abord cette histoire de chavirage ; la partie thriller n’intervenant en fait qu’en bout de course. Hélas, Fontaine n’est pas Cassavetes et traite le changement mi-subi, mi-choisi de trajectoire de Claire avec retenue, sagesse et sans éclats, à part quelques scènes nocturnes dans l'atmosphère glauque et alcoolisée de bars ou de boites et celle de l’agression fatale. Mais la cinéaste ne parvient jamais à nous faire percevoir les atermoiements de son personnage féminin, ni l’équivoque fascination exercée sur elle par le personnage masculin.

 

    D’autre part, il est regrettable que l’intérêt suscité par Entre ses mains auprès des médias soit circonscrit à sa surprenante affiche. Rien de curieux qu’Isabelle Carré soit toujours parfaite, avec l’efficacité méticuleuse des techniciens du maquillage et du costume à la rendre si quelconque et passe-partout, avant qu’elle ne retrouve sa luminosité déjà légendaire. A ses côtés, c’est en toute logique à Benoît Poelvoorde en total contre-emploi et plutôt convaincant – mais néanmoins sans une dimension qui puisse justifier de cet engouement - que sont tressées toutes les couronnes de lauriers. Dans le même registre, Elie Semoun dans l’autrement plus intéressant Aux abois offre un jeu plus subtil et moins cousu de fil blanc.

 

    Il reste donc à Anne Fontaine dont on ne contestera ni les qualités de metteuse en scène ni celles de directrice d’acteurs, à franchir sa propre ligne de démarcation et entrer dans le monde délicieusement séduisant et artistiquement alléchant de la transgression.  Rendez-vous est donc pris pour le prochain film.

 

Patrick Braganti

 

Français – 1 h 30 – Sortie le 21 Septembre 2005

Avec Isabelle Carré, Benoît Poelvoorde, Jonathan Zaccai

 

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