Fahrenheit
9/11 de
Michael Moore
|
|
|
|
Le voilà donc le fameux
pamphlet controversé, le tract enflammé, le brûlot
palmé sensé faire basculer le destin de la plus grande
puissance mondiale. Une fois n’est pas coutume, le
film couronné à Cannes arrive sur nos écrans très
rapidement : les élections américaines ayant lieu
en novembre prochain , il fallait faire vite, très
vite.
Cette sensation d’urgence, omniprésente, prégnante dès
les premières minutes, constitue à la fois la
principale qualité et le défaut majeur du nouveau film
de Michael Moore : si l’on sent rapidement
qu’il manque, et pour cause, de recul sur les évènements
(il aborde déjà le problème des tortures et
humiliations que les soldats US ont fait subir aux
prisonniers irakiens), qu’il s’emballe, qu’il
accumule les pièces à conviction un peu à l’emporte
pièce sans un grand souci de crédibilité, il fait
preuve d’une véritable rage, d’une puissance de
conviction, d’une sincérité, qui forcent le respect.
Pour le reste : business as usual… Ceux, de plus
en plus nombreux, qui supportent de moins en moins Michael
Moore, sa starification (assumée), sa partialité
(assumée) et sa démagogie (assumée ?) trouveront
dans Fahrenheit 9/11 de sérieuses preuves pour
étayer leur dossier. Jamais le dernier pour forcer la
main au spectateur, il se permet en effet dans sa toute
dernière partie une paire de séquences tire-larmes à
la fois douloureuses, inconfortables et finalement tout
simplement dégueulasses. Auparavant, il aura tiré
partie, il faut bien l’avouer avec brio, de toutes les
séquences d’archives susceptibles d’enfoncer Georges
W. Bush et son administration, ou d’étayer son
argumentaire : lorsqu’il cite les membres de la
coalition engagée en Irak, il cite la Hollande, la
Roumanie ou bien encore le Maroc, en les ridiculisant
gentiment, et surtout en prenant bien soin de ne pas
mentionner la Grande-Bretagne ou d’autres alliés de
poids. Adepte de l’interview bazooka et des cuts
intempestifs (du moment que l’idée, la sienne bien sûr,
parvient au spectateur, tout est bon), il a mis au point
un véritable style, une méthode, qui font
aujourd’hui école (voir les sujets du Vrai Journal
de Karl Zéro, ou le récent docu Supersize Me,
qui lui doit plus que beaucoup).
Dommage, on le préfère nettement plus lorsqu’il met
en perspective l’ « œuvre » des
hautes sphères en prenant le pouls de son pays, en
allant sur le terrain constater les dégâts : la
scène où il montre comment 150 kms de littoral
Pacifique sont laissés à la surveillance d’un seul
officier de police, ou la séquence durant laquelle 2
militaires parcourent avec une avidité même pas
dissimulée les parkings des centres commerciaux de l’Amérique
profonde à la recherche de chair à canon, ne nécessitent
aucune intervention de sa part, aucune « manipulation »
de l’image, elles se suffisent à elles-mêmes. Il a
recours à une méthode identique pour aborder le thème
du Patriot Act (promulgué en douce, il prive les
citoyens de certains droits fondamentaux sous prétexte
de lutte contre le terrorisme), en montrant comment un
américain lambda, ou un groupe de débonnaires
militants pacifistes, ont souffert de procédés dignes
d’une dictature.
La comparaison de Fahrenheit 9/11 avec le film de
William Karel (Le Monde selon Bush) diffusé
récemment, s’avère par ailleurs des plus intéressantes :
même discours anti-Deubeulyou, même base d’images
d’archives, mais résultat (sur le spectateur)
radicalement différent. La sobriété de Karel,
la rigueur de sa démonstration, impressionnent, mais
ont pour conséquence un certain systématisme qui finit
par ennuyer. Moore lui, malgré des partis-pris
parfois douteux, nous émeut, nous fait sourire, voire
rire, nous saisit même parfois, atteint sa cible (Bush,
le public américain et mondial) en plein mille. Il faut
faire preuve d’une grande mauvaise foi (de SA mauvaise
foi à lui ?) pour ne pas constater la redoutable
efficacité de son film.
Laurent
Garcia
États-Unis
– 1h55 – Sortie le 7 juillet 2004
|