cinéma

feux rouges de Cédric Kahn    

 
 

     Voir l’un des cinéastes les plus viscéraux et brutaux issus de la « Nouvelle-nouvelle vague » française s’attaquer à une adaptation de Simenon, en y dirigeant une paire d’acteurs « établis », avait de quoi surprendre. On sait pourtant depuis L’Ennui que Cédric Kahn ne saurait se contenter du statut de « nouveau Pialat » que l’on s’est empressé de lui faire endosser : plus qu’un réalisateur apte à capter une certaine forme de vérité dans ce qu’elle a de plus aveuglant, il semble désireux de se frotter à des formes plus littéraires, de s’épanouir dans des genres différents (réflexion philosophico-érotisante, chronique criminelle), bref d’évoluer.

 

    Ainsi, après la chronique ultra-réaliste et tendue du parcours d’un criminel (le très réussi Roberto Succo), Feux rouges signe, mieux encore que L’Ennui, l’entrée de Cédric Kahn dans le cercle très fermé des « auteurs grand public ».

 

    Tout commence pourtant comme dans un (mauvais) téléfilm : ils sont un couple de parisiens lambda et s’apprêtent à partir en vacances pour rejoindre leurs enfants dans le Sud Ouest. D’emblée pourtant, les choses ne se passent pas comme prévu : elle (Carole Bouquet, remarquable), avocate d’affaires surbookée, est en retard à leur rendez-vous; lui (Jean-Pierre Darroussin, formidable), simple employé d’assurances, commence à boire en l’attendant : sentiment (injustifié ?) d’être considéré comme un moins que rien par sa femme, besoin de transgression, de transcendance même (il a besoin de se sentir fort dit-il), il s’imbibe dangereusement alors même qu’il a pris le volant. Le film sera le récit de cette nuit hors du commun dans l’histoire de ce couple apparemment sans histoires.

 

    Sans trop dévoiler des évènements survenus, on peut néanmoins dire que Kahn excelle dans la mise en place de son dispositif, dans la montée d’une tension froide et apparemment anodine : la route, toujours la route, puis l’alcool, toujours plus, les rencontres, hasardeuses, et ce grand vide angoissant que le personnage de Darroussin devra combler au petit matin après la disparition de son épouse (hallucinante scène des coups de fil successifs qui dure près de 10 minutes).

 

    C’est là que le film emballe définitivement : après la chronique (réussie) d’une histoire de couple qui ne tient qu’à un fil, le film dérive lentement vers des rivages plus inattendus. On ne sera dès lors pas surpris de retrouver au générique le nom de Gilles Marchand (co-scénariste en compagnie de Kahn et de sa comparse habituelle, Laurence Ferreira Barbosa), tant le film parvient à faire cohabiter (comme dans Harry, un ami qui vous veut du bien, et Qui a tué Bambi ?) ambiances réalistes dans la description du quotidien et saillies teintées de fantastique.

 

    La morale (ou son absence ?) et le dénouement emportent définitivement l’adhésion : n’éludant pas l’ambiguïté de ses choix, mais privilégiant la manifestation d’une justice poétique, Kahn prouve qu’il est décidément plein de ressources et qu’il est aussi à l’aise quel que soit le genre abordé. Il laisse finalement l’impression, au moment où les producteurs français ne semblent trouver d’autre alternative aux traditionnelles grosses productions que les potacheries minables montées à la va-vite par le premier keumique cathodique venu, de pouvoir incarner ce cinéma français à la fois accessible et exigeant qui est absent de nos écrans.

 

Laurent

 

France – 1h46 – en salles le 3 mars 2004