A
Memphis, ville emblématique de la naissance du
rock, Alan est une gloire locale : un
producteur blanc féru de musique noire et amateur
inconditionnel de soul et de blues. Une gloire
certes, mais déjà un peu passée, encore la tête
dans les années 60 et 70 à l’image de son look
vieillot et de la décoration surannée et datée
de sa maison. Avec sa dégaine à la Pavarotti, même
barbe fournie et même regard tombant, Alan
pourtant célébré par ses pairs dans des cérémonies
ringardes et bon enfant ne fascine plus que
quelques groupies en manque de sensations ou
quelques vieux musiciens nostalgiques. En fait, la
seule chose qui détonne dans le décor si formaté
de l’artiste égocentrique et somme toute aigri,
c’est son épouse Laura. Plus jeune que lui –
elle est sa seconde femme -, Laura est une russe
que Alan a rencontrée à Moscou puis ramenée
dans ses bagages et qui lui a donné un petit garçon
Sam.
A
la première vision de Laura (Dina Korzun
éblouissante) déambulant dans une galerie
marchande chic, puis se maquillant avec
application, on est de suite subjugués par cette
silhouette longiligne, presque osseuse, carrément
fantomatique. Un port majestueux, une évanescence
réelle, une étrangeté au monde qui l’entoure,
une femme déplacée, déracinée ; ce
qu’est bien sûr Laura, la jolie russe dont Alan
sans doute émoustillé par sa jeunesse et sa
plastique de mannequin a fait sa chose : ce
bel objet avec lequel on se rend dans les soirées
mondaines, que l’on exhibe fier et rassuré de
sa séduction. Ce qui n’empêche nullement ce
goujat d’Alan de draguer la première midinette
en vue et de laisser choir sa compagne, laquelle
noyant sa solitude dans le vin blanc se fait
raccompagner à la maison par un dragueur malotru
et entreprenant. C’est cette vision d’une
femme d’abord ivre, apparemment facile et séductrice,
que reçoit d’abord en pleine nuit Michael, le
premier fils de Alan, juste débarqué pour
assister aux différentes fêtes organisées en
l’honneur de son père.
Passé
ce contact peu favorable, Laura et Michael vont se
regarder différemment, partageant la même
distance et l’irrespect mufle et égoïste que
leur témoigne Alan. La vie fragile de Laura se déséquilibre
avec ce nouveau regard porté sur elle.
Une
histoire de (res)sentiments entre trois personnes,
c’est sans doute vieux comme le monde. Mine de
rien, Forty shades of blue réussit
joliment son coup dans la composition subtile et délicate
de ses personnages. Tout ici est construit par
petites touches, des attitudes lourdes de sens.
Laura dégage une vulnérabilité attachante, espèce
d’animal en recherche de territoire circonscrit
au centre commercial, au studio d’enregistrement
ou à l’école de son fils. Invisible pour son père,
empêtré dans sa vie de couple, Michael est à sa
manière tout aussi fragile et paumé que sa
belle-mère et le point de contact entre ces
deux-là paraît évident. Encore mal à l’aise
avec la langue, Laura ne sait ni mentir ni tricher
et fait preuve d’une touchante franchise avec le
père et le fils.
Estampillé
« cinéma indépendant américain », Forty
shades of blue , mélancolique et intimiste,
sort largement du cadre préétabli. Car s’il y
a peu de moyens et pas de vedettes
hollywoodiennes, il y a surtout un scénario
juste, une écriture fine. Une belle surprise en
somme à découvrir.
Patrick
Braganti
Film
Américain – 1 h 47 – Sortie le 7 Décembre
2005
Avec
Rip Torn, Dina Korzun, Darren E. Burrows
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