Contrairement
aux apparences, le cinéma de Pascal Thomas
ne s’écrit pas contre. Ni contre la
grande internationale du cinéma contemporain
grand public, habillage glacé brillant
d’iconographie médiocre ; ni contre la
puissance financière dont l’activisme grotesque
engendre tôt ou tard son propre mépris ; ni
contre le processus d’aplanissement généralisé
dont chaque couche de la société – et sa représentation
du même coup – fait l’objet. Ainsi,
l’exhibition répétée des aisselles poilues de
Laetitia Casta ne relève pas d’une
tentative d’écrasement de l’idole mais bien
de sa révélation, dans un sens quasi métaphysique,
comme on l’entendrait par exemple d’une parole
divine. Le Grand appartement est d’abord
cela, une longue séance d’exhibitionnisme
salvateur, de lutte contre la cohérence trop
lisse qu’on (monde marchand, société complice,
capitalisme étalé) voudrait nous vendre.
Pas
contre donc, mais résolument pour.
A l’instar du Miles Davis des années électriques
dos au public dans sa musique, Thomas
creuse une trouée d’air libre au cœur d’un
monde – soit, encore une fois, de sa représentation
– devenu étouffant, étouffé, perversement
mortifère. S’il peut se le permettre, c’est
justement parce qu’il a d’abord su,
instinctivement, faire de la mort une hypothèse
admise, qu’on évitera de considérer avec trop
de solennité (« Pour éviter les soucis,
ne pas s’en faire » dit en substance
Francesca). Acceptée (comment faire autrement ?),
apprivoisée puis écartée, la mort se contente
de parcourir en filigrane l’ensemble du récit
via, entre autres, une grand-mère dégénérescente,
un bistrot menacé ou l’amour en péril.
Avantage indéniable pour Thomas : là
où 90 % du cinéma contemporain s’ébroue en
vain pour repousser l’inexorable fin (que sont
les thrillers, action movies et autres
films de genre sinon de lourdes machineries destinées
à vaincre, littéralement, la mort ?), il
est déjà passé. C’est dans ce temps
d’avance, jouissif et si peu partagé, que
s’ancrent ses films.
Conséquence
directe de cette tranquillité gagnée,
tout bétonnage excessif devient superflu. A bas
les scénarios huilés huileux, cadres délicats storyboardés,
préciosité maniériste. Et vive la mise en scène
habile, inventive et discrète, à la colle
d’une histoire éclatée dont le fil rouge
(menace d’expropriation) n’est qu’un prétexte
limite McGuffin à l’étalage patchwork
d’une humanité assumée sans complexe. Pour qui
veut y voir de près, il y trouvera son compte :
les hommes, les femmes, la vanité, le jeu, la
culpabilité, la cupidité, l’amour, le cinéma,
et quoi encore. Ce cinéma-là ressuscite
naturellement ce que ses confrères rejettent en
bloc, et se construit à la manière foutraque des
films des années 70, les mains dans le cambouis.
Odoriférant et imparfait, il s’écarte
notamment de l’imagerie factice du cinéma High
Tech comme des sépias en toc d’une Amélie
Poulain.
Ici
plus qu’ailleurs, l’essai n’est
transformable qu’avec l’assentiment d’un
casting à la hauteur des enjeux. On a presque
honte d’en parler tant Pascal Thomas est
passé maître dans l’art de faire disparaître
ses comédiens sous leurs nouvelles peaux.
Mentions spéciales cependant à Laetitia Casta,
actrice surprise si peu mannequin ; à Mathieu
Amalric, identique mais toujours différent ;
à Pierre Arditi, classique et moderne.
Surtout, en contrefond esquissé, Paris prend la
pose d’une provinciale tranquille : motif (woody)
allenien parmi d’autres, ou la communauté
d’intérêts de deux réalisateurs old school,
modèles de légèretés et d’élégance
pour époque en panne.
Christophe Malléjac
Film français – 143 – Sortie
le 27 décembre 2006
Avec
Laetitia Casta, Mathieu Amalric, Pierre Arditi.
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