cinéma

Histoire d’un secret de Mariana Otero        1/2

 

 

    Quoi de plus privé, de plus intime que le secret au sein d’une famille ? Quoi de plus difficile à exposer aux yeux de tous dans un souci de partage ? Et pourtant, Mariana Otero, en choisissant de transposer sa propre histoire, dépasse largement ce cadre intime et parvient à toucher à l’universel, ce qui n’est pas la moindre des qualités de ce film magnifique et émouvant. Le secret est terrible puisqu’il concerne la disparition de la mère de Mariana Otero : Clotilde Vautier, alors qu’elle était âgée de quelques années seulement, les laissant, elle et sa sœur Isabel, dans une zone de non-dits. Comme une plaie ouverte que le silence empêcherait de cicatriser. Il semble d’ailleurs que la réaction des deux sœurs ait été très différente : Isabel dans l’analyse et la recherche ; Mariana dans une absence complaisante et rassurante de questions.

    La réalisatrice est passée par le documentaire, et cela rejaillit évidemment sur la construction de son film. Nous lui devons notamment cette série de six reportages pour Arte La loi du collège, dans lesquels elle prouvait ses qualités d’écoute. Il est ici beaucoup question de regard et d’écoute justement.  Même si la révélation du secret est antérieure au film, nous assistons à une enquête, une recherche progressive des gens qui ont connu et côtoyé sa mère. Ces gens, ce sont bien sûr sa famille, sa tante et son oncle, sa grand-mère et surtout son père, d’origine espagnole, qui relate aux côtés de sa fille silencieuse mais comme suspendue à ses lèvres les derniers instants de la vie de sa femme. Nous les voyons côte à côte dans une voiture, l’un en face de l’autre autour d’une table pour des confessions douloureuses, mais traitées avec infiniment de pudeur et de tact.  Hormis la famille, il y a aussi tous ces modèles féminins aujourd’hui vieillis qui ont posé pour Judith, peintre plutôt talentueuse de ces femmes souvent dénudées et plantureuses. La décortication explicative des tableaux par une experte, la redécouverte et l’exposition finale de ceux-ci sont certainement les plus belles scènes du film. D’abord parce que le lien entre la peinture et le cinéma est plus qu’évident, dans cette juxtaposition de teintes et cette émotion passant par le regard. Ensuite, et surtout, parce qu’il permet à Mariana Otero d’offrir à sa mère une renaissance à travers sa singularité d’artiste et de remettre à jour une existence prématurément stoppée et une mémoire peu honorée. Nous sommes là dans le devoir de mémoire et l’hommage.

    Nullement exhibitionniste, encore moins pathétique, mais simplement juste et respectueuse, la caméra de la réalisatrice nous conduit progressivement vers une révélation certes tragique, qui donne dès lors un sens éminemment politique et social à ce film. Sans vouloir minorer cet aspect-là du film, il est à peu près certain que ce n’est pas la nature terrible même du secret, mais sa seule existence, révélation comprise, qui permet la genèse de ce film à la fois intime et universel.

    Mariana Otero ne nous rend pas voyeurs de cette intimité, mais renvoie à chacun de nous sa part d’ombre et son propre statut au sein d’une famille, fondation incontournable d’un destin parfois chaotique.

Patrick