Kingdom of heaven
Ridley Scott
[2.0]
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Cinéma chewing-gum : au goût sucré très agréable
du début succède vite l’arôme évaporé puis la
lancinante douleur de la mâchoire et, enfin, cette désagréable
sensation que laisse sur les doigts la petite boule
verte dont on ne peut plus se dépêtrer. Chewing-Gum
made in Hollywood dont Ridley
Scott livre à travers Kingdom
of Heaven un exemple bien dans les normes.
Il n’y a pas grand-chose à retirer de ce pénible périple
au cœur de la Jérusalem sainte du XXIIème siècle,
sinon l’impression d’assister impuissants à un
naufrage dans les règles de l’art, où tout va si
vite que tout finit par lamentablement s’échapper.
Le
problème de fond est ici particulièrement
symptomatique d’un état esprit américain,
hollywoodien : celui d’une certaine réalisation héroïque des personnages. Ridley Scott pourrait déposer un brevet tant le squelette narratif
qui tient lieu de prétexte à un déploiement tous
azimuts est l’exacte réplique (à bien peu de choses
près) de celui de Gladiator :
un type d’en bas dont la famille est décimée (ce qui
nous vaudra la désormais classique séquence de
l’enfouissement dans la terre d’un petit effet
personnel ayant appartenu aux défunts, ouf, le deuil
est fait) se voit embarquer –malgré lui, cela va sans
dire- dans un destin qui, loin de le dépasser, fera de
lui un héros magnanime adulé des foules. Réalisation
héroïque : pour Ridley
Scott comme pour la plus large part du cinéma américain,
une vie ne vaut la peine d’être vécue, et ne se
mesure, qu’à l’aune d’une accession sociale
glorieuse.
On pourrait bien sûr s’en amuser, voire y être
indifférent. Mais dans le cadre d’un projet aussi
vaste et sentencieux –avec références lourdingues à
la politique de George
Bush en Irak- cela pose un problème. Qui donne des
leçons se doit en effet d’être irréprochable. Or,
que fait Ridley
Scott, sinon tenter d’inculquer sa propre
version de l’axe du bien, vision panthéiste et béate qui ne peut se déployer
qu’à travers la réussite personnelle et individuelle ?
Comment ne pas rester stupéfait devant ce discours si
américain qui va chercher (en France, mais pas la choix :
les Etats-Unis n’existaient pas alors) un héros étranger,
lequel s’avérera seul capable non seulement de faire
prospérer les richesses de la terre mais de
sauvegarder, au final, la paix avec les musulmans ?
Passons
sur les lourdeurs énormissimes (Saladin
le visionnaire déclamant par exemple : lorsque
je ne serais plus là, l’Islam pourra trembler) et
l’accumulation de mots-références prêts à faire
mouche dans l’inconscient du spectateur de 2005, et
concentrons-nous plutôt sur la mise en scène de Scott. Si le début du film –la partie française- laisse
entrevoir une œuvre âpre et rude centrée sur la
violence (avec une stylisation parfaite comme Ridley
Scott sait parfois le faire), la suite bascule très
vite dans le grand n’importe quoi. Scott
lâche la bride et enchaîne les scènes sans génie,
sans inventivité, avec la platitude et la volonté de tout
dire. Qui trop étreint mal embrasse ; le résultat
ne se fait pas attendre : ennui sans fin.
On
se sent d’ailleurs si peu concerné par le film
qu’on a le temps de regretter cette absence de
modestie dans son traitement, qui aurait sans doute
permis de livrer un résultat un peu plus affûté.
Encore aurait-il fallu pour cela un casting de poids.
Mais Orlando
Bloom, au visage lisse, n’a pas le charisme nécessaire
pour porter une machinerie aussi démesurée.
Espérons
pour Ridley Scott
qu’il sache à l’avenir renouveler son inspiration
car son cinéma ressemble de plus en plus à ces
massacres dont il aime se faire le conteur. Trop de naïvetés
s’avère toujours fatal. On ne fait pas du grand cinéma
avec de bons sentiments.
Christophe
Malléjac
Film
américain – 2 H 25
- Sortie le 4 mai 2005
Avec
Orlando Bloom, Jeremy Irons, Liam Neeson, Eva Green
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