Koktebel
de
Boris Khlebnikov et Alexei Popogrebsky
[4.0]
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Le cinéma provenant de Russie est suffisamment
rare pour ne pas s’attarder un instant sur la sortie
de Koktebel. Il est étrange de constater que les
derniers films russes interrogeaient tous les rapports père-fils,
la démission des premiers et la formidable attente des
seconds. Un sujet qui aujourd’hui traverse bon nombre
de films au-delà même des frontières d’un pays.
Koktebel,
c’est donc un voyage, mais c’est aussi la
destination du périple. Koktebel est une station
balnéaire en Crimée sur la Mer Noire qu’un père et
un fils entreprennent de rejoindre depuis Moscou. Ils en
sont partis avec trois fois rien dans les poches, juste
deux sacs à dos contenant leurs affaires. Faute de
moyens, ce grand voyage à travers les immenses paysages
de steppes s’invente au fur et à mesure des
rencontres et des opportunités. Ainsi dans une gare de
triage un homme les chasse du wagon dans lequel ils ont
parcouru une partie du voyage pour leur offrir quelques
instants plus tard un abri de fortune et un peu de
nourriture. Une pause chez un vieux fou imbibé de vodka
et déclamateur de vers, que le père aide à réparer
son toit s’achève brutalement dans une altercation
alcoolisée sous la menace d’un fusil. Le recours à
une médecin seule et hospitalière met un coup d’arrêt
au voyage. Le père amouraché de la toubib a très
envie de passer l’hiver avec elle et de rejoindre la
Crimée au prochain printemps, ce à quoi le fils
s’oppose en choisissant de continuer le périple seul.
A l’image de ses deux voyageurs fauchés, Koktebel
est un film à l’économie modeste, au manque de
moyens flagrant, à quoi il faut aussi ajouter la préparation
longue et minutieuse (recherche de financements et écriture)
qui a pris plusieurs années. Koktebel est donc
avare d’actions, de dialogues, mais dans sa succession
de petits moments où les regards et les attitudes en
disent plus long que de vaines paroles, il réussit
parfaitement à nous rendre attachants les deux
vagabonds. Le père n’a pas supporté la mort de sa
femme et a petit à petit sombré dans la déchéance et
l’alcool. Le fils a grandi dans l’absence physique
de sa mère et l’abdication éducative du père. La
descente aux enfers s’est arrêtée par la décision
de rejoindre la Crimée où habite la tante du gamin.
On
est toujours émerveillés par les paysages rudes et
grandioses des immensités russes et ukrainiennes, mais
aussi par le fatalisme indéfectible de ses habitants
acceptant leur sort miséreux avec une philosophie érigée
à grands coups de vodka. Ici le temps est souvent
suspendu et personne ne manifeste de précipitation.
Grâce à sa poésie diffuse et le soin
impressionniste exprimé par petites touches sensibles, Koktebel
fait complètement mouche. On suit avec plaisir et
tendresse ce père en quête de réconciliation et ce
fils captivé par le monde vu d’en haut, à la
gaucherie émouvante. Un premier film admirable de
modestie dans sa volonté de ne pas donner ni
explications ni leçons et qui opte in fine pour
le langage et la force des images.
Patrick
Braganti
Film
Russe – 1 h 45 – Sortie le 9 Novembre 2005
Avec
Igor Tchernevitch, Gleb Puskepalis
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