La
vie aquatique
de Wes
Anderson
|
|
|
|
Rêveur, illuminé, inconscient, fou : autant de
qualificatifs qu’il serait facile d’accoler au
premier abord à Steve Zissou, héros -incarné par Bill
Murray- du nouveau film de Wes
Anderson, La
vie aquatique. Sorte de commandant Cousteau
à bonnet rouge, Zissou est un cinéaste documentaire has-been,
dont les films n’ont plus ni le succès ni la
force d’autrefois. Lors du tournage de son dernier
film, il vient de perdre son fidèle compagnon
d’aventures maritimes, avalé (« mâché »
précise-t-il) par un requin-jaguar, géant des mers
long de près de 10 mètres. Dès lors, Zissou n’a
plus qu’une ambition : retrouver le requin pour
venger la mort de son ami. Ce sera le sujet de son
nouveau film. Il embarque donc avec son équipage
cosmopolite, composé de nationalités différentes
(dont Seu Jorge jouant exclusivement du Bowie à la guitare), auquel se joignent une journaliste enceinte (Cate
Blanchett) chargée de faire un reportage sur lui
et, surtout, Ned Plimpton (Owen Wilson), qui se présente comme étant son fils (pilote de
ligne).
Comme souvent chez Anderson
(voir La famille Tenenbaum), nous voici en présence d’une histoire de
famille. Cet équipage bariolé, lancé dans une
improbable chasse au requin a en effet des allures de famille
recomposée où l’on retrouve le fils adoptif (Willem
Dafoe, parfait comme toujours), le beau-père à moitié gay (Jeff –la
mouche- Goldblum), la fille nymphomane, les enfants
étudiants et leurs amis, le fils prodigue de retour, le
tout sous contrôle d’une mère dominatrice (Angelica
Huston). La modernité d’Anderson
rejoint ici celle de la société, où la famille dite
recomposée tend à devenir la norme. Mais, là où le
monde réel –disons : adulte- éprouve les pires
difficultés à faire harmonieusement cohabiter, dans ce
cadre, ses différents éléments (nourris pour la
plupart à toutes sortes de névroses antagonistes), Anderson triomphe. Sa famille est un modèle d’union réunie
autour de Steve Zissou, comme en témoigne –et malgré
les épreuves- à la toute fin du film, le geste d’adhésion
et de lien physique entre ses membres.
Et
l’on se dit alors, qu’en définitive, le rêveur,
l’illuminé, l’inconscient, le fou n’est pas forcément
celui que l’on croit. A l’image immobile d’un
monde adulte pétrifié par le doute et l’angoisse,
Zissou oppose l’énergie sans limites d’une liberté
de mouvement, d’action et de pensée, qui n’est pas
sans rappeler les cours de récréation. Il y a de
l’amour, de la jalousie, de la mesquinerie, des
bassesses comme des gentillesses, mais ce qui trame le
tout et l’enrobe à l’écart du monde réel, c’est
le goût du jeu. C’est d’ailleurs ainsi qu’Anderson
filme son histoire : comme une grande cour de récréation
ou -pourquoi pas- une scène de théâtre avec représentation
organisée par les enfants pour leurs parents, comme
dans ce plan-séquence virtuose où le bateau de Zissou
se laisse visiter à l’image d’une maison de poupées
pleine de recoins.
Pour percevoir avec acuité la profondeur du film, il
faut donc abandonner à la porte du cinéma la masse de
repères rigides qu’une vie d’adulte force à posséder.
Glisser en somme dans son vieux costume d’enfant pour
voir le monde avec des yeux d’adulte-enfant ou d’enfant-adulte,
non pas naïvement, pas avec innocence, mais justement
gorgé d’une insouciance salvatrice, et de jeux sur le
mode du « on dirait ».
On
dirait que je suis le commandant Cousteau.
On dirait que tu es mon fils. On dirait que le requin
s’appelle requin-jaguar. On dirait qu’il est super
grand. On dirait que tu es enceinte. On dirait que tu me
quittes. On dirait que les pirates attaquent. On dirait
que tu es pilote d’avion. On dirait que je t’avais
sauvé. On dirait que tu es mort. A l’exact opposé du
monde adulte, où l’apparence recouvre trop souvent le
vide, c’est la profondeur des choses qui, ici, remonte
à la surface, prend la direction des opérations sous
le couvert d’un faux-semblant de pacotille.
Pas étonnant dans ces conditions d’apercevoir le
monde des adultes –le monde réel- réduit à une
immobilité statique, dont les seules interventions (par
la parole) sont teintées d’agressive méchanceté. Ce
sont les spectateurs de la salle de cinéma interrogeant
Zissou ou ceux qui, dehors, parqués derrière des barrières
de sécurité, l’interpellent violemment. Le seul
contact de Zissou avec cette réalité consistera
d’ailleurs en un geste lui-même violent (on peut à
cet égard considérer que, bien qu’entre deux eaux
–c’est le cas de le dire- les pirates font partie du
jeu).
Pour porter un tel projet, il fallait un acteur
d’exception. De Bill
Murray, Wes Anderson dit que face
à un groupe de gens, il va toujours trouver quelque
chose à dire de drôle et de surprenant. Mais il y a
aussi quelque chose de douloureux et de triste dans ses
yeux. Attributs du clown : c’est bien parce
qu’il appartient à ce monde dont Anderson
fait ici l’éloge mélancolique que Bill
Murray est si génial, sans conteste l’un des plus
grands acteurs de son temps. Son face-à-face avec le
requin-jaguar, à la fin du film, provoque dans ses yeux
un afflux de larmes, celles d’un homme-enfant découvrant
enfin, émerveillé, le trésor derrière lequel il
court depuis toujours et qui vient confirmer son hypothèse :
celle d’être du bon côté de la vie.
Christophe
Malléjac
Film
américain – 1h58 – Sortie le 9 Mars 2005
Avec
Avec Bill Murray, Owen Wilson, Cate Blanchett
>
Réagir
sur le forum cinéma
|