Faites
un petit jeu autour de vous : évoquez Lady
Chatterley et à coup sûr votre interlocuteur
vous parlera avec lubricité complice d’une
aristocrate volage et pas farouche, entretenant
des relations torrides avec son domestique en
cachette d’un mari handicapé, le tout nimbé
d’une touche érotique. Les poncifs ont décidément
la vie dure, et tout aussi encombrés de ceux-ci,
nous fûmes d’abord étonnés du projet de Pascale
Ferran d’adapter le roman sulfureux de D.H.
Lawrence. Il faut dire que dix années se sont
écoulées depuis le dernier film – d’ailleurs
un téléfilm L’Age des possibles pour Arte
en 1996 – de cette réalisatrice et scénariste,
militante activiste à ses heures, dont on avait
apprécié les questionnements subtils et inspirés
sur le deuil et les atermoiements d’une génération.
Notre étonnement mâtiné de crainte n’était
en rien justifié, aveuglés que nous étions par
l’aura scandaleuse d’un roman, jamais lu au
demeurant, trop vite réduit à une histoire de
cul. A notre décharge et pour notre confusion,
ajoutons que D.H. Lawrence a écrit trois
versions de Lady Chatterley et que c’est
la seconde que Pascale Ferran
s’approprie, celle dans laquelle l’amant est
un garde-chasse solitaire, taiseux et rugueux, et
non pas un ex-officier de l’Armée des Indes
ayant choisi de vivre en ermite, comme il est présenté
dans la troisième version. Cette différence de
classes et le rapport patronne versus employé ont
une place prépondérante dans l’histoire, en
instaurant une dimension politique cruciale.
En
1921, au cœur du pays minier d’Angleterre,
Clifford Chatterley et son épouse Constance sont
installés à Wragby Hall. L’ancien lieutenant
de l’armée britannique est revenu de Flandres
en morceaux, hémiplégique et sans doute
impuissant. La vie s’écoule monotone et indifférente,
rythmée par les codes de conduite de
l’aristocratie locale. Lorsque l’état de
Clifford nécessite l’embauche d’une
garde-malade, Constance moins occupée part à la
découverte du parc, de la forêt et rencontre
Parkin, le garde-chasse du domaine, vivant
retranché dans sa maison au milieu des bois dans
une solitude consciencieusement bâtie et assumée.
Entre
Constance, jeune femme annihilée dans son désir
et son émancipation, et Parkin rustre et renfermé,
va naître ce qu’il faut bien nommer l’amour. Lady
Chatterley va ainsi décortiquer par le menu
l’installation et l’évolution de ce couple à
priori déséquilibré. Car ici il ne s’agit ni
d’un coup de foudre, ni d’une passion soudaine
et enflammée. Au contraire, nous assistons à
l’apprentissage de deux êtres dissemblables –
milieu, éducation, âge, corps – dont seule
l’extrême solitude, subie ou volontaire, crée
un possible point de jonction. D’abord mus par
le désir physique, les deux amants s’ébattent
sauvagement et précipitamment sur le sol de la
cabane de Parkin, le seul à prendre son plaisir.
Avant que les bouches s’embrassent, que les
corps se dénudent au grand jour, il faut du temps
car à chaque nouveau rendez-vous les deux amants
doivent se ré-apprivoiser, se remettre en phase
et se persuader qu’ils ont quelque chose à
faire ensemble. C’est donc une relation qui se
construit au présent puisqu’elle est du domaine
de l’impensable et rend absurde toute
projection. Cependant, elle évolue petit à
petit, s’inventant de nouveaux horizons au fur
et à mesure que les deux amants se transforment.
La transformation, celle d’une jeune femme
engoncée dans son milieu en femme libre et
moderne, celle plus lente du garde-chasse capable
d’entrevoir la dimension universelle et panthéiste
de l’amour de Constance, rythme tout le film
dont elle devient le fil conducteur. Pascale
Ferran la montre essentiellement à travers
toutes les mutations du règne végétal qui
semble envahir tout le film. La nature est ici
omniprésente, décor naturel au diapason exact
des sentiments éprouvés. Les saisons passent,
les paysages se transforment et avec eux la
relation entre Constance et Parkin, dans la plus
parfaite des osmoses. On pense parfois au cinéma
naturaliste de Terrence Malick.
Pascale
Ferran s’offre le luxe inouï et salutaire
d’inscrire Lady Chatterley dans la durée,
ce qui nous permet de percevoir les infimes et
progressifs changements d’un amour en
construction. Il faudrait bien sûr vanter la
qualité et la justesse de l’interprétation,
l’exactitude du découpage et la dimension
politique du propos. On terminera simplement en
disant que Lady Chatterley est un sublime
film d’amour, où la liberté et la réinvention
du monde prennent toute leur ampleur. Un retour
donc vainqueur…
Patrick
Braganti
Drame
français – 2 h 38 – Sortie le 1er
Novembre 2006
Avec
Marina Hands, Jean-Louis Coulloc’h, Hippolyte
Girardot
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