Lorsque
en 1988 les deux candidats à la présidence de la
République s’affrontent lors d’un face-à-face
d’anthologie, Jacques Chirac et François
Mitterrand à coup de « contestations les
yeux dans les yeux » essaient de
s’exonérer de leurs responsabilités dans
l’affaire Gorji. Une sombre affaire d’échanges
de terroristes contre les otages libanais Carton
et Fontaine, une affaire où la justice dut
s’incliner devant la raison d’Etat au grand
dam d’un de ses représentants : le juge Gilles
Boulouque, juge de l’anti-terrorisme qui
s’était fait connaître en prenant en charge
les brûlants dossiers des attentats tragiques
parisiens du milieu des années 80. Suite à des
fuites et à un entretien accordé au Journal du
Dimanche, Boulouque est accusé deux ans
plus tard d’avoir violé le secret de
l’instruction et lâché par la quasi totalité
de ses pairs. L’homme fragile, voué à son
travail comme à un sacerdoce, conscient de son
immense solitude, ne supporte pas son inculpation
et met fin à ses jours, laissant derrière lui sa
femme et ses deux enfants : Sylvain et Clémence.
Peut-être
parce qu’elle est sa fille (le rapport fusionnel
entre un père et sa fille), probablement parce
qu’elle est encore au moment de la disparition
du juge une pré-adolescente de treize ans, sans
doute parce qu’elle s’est comportée de manière
puérile et butée les mois précédents ne
comprenant pas le repli sur soi ni la tristesse
accrus de son père, toujours est-il que Clémence
(le choix de son prénom laisse entrevoir
l’humour et la distanciation ironique de ses
parents) vit très mal la tragique disparition de
son héros, de sa lumière. Enfermée pendant des
années dans le silence et un deuil rendu
impossible par ce mutisme, Clémence Boulouque
choisit la voie de l’écriture pour rendre
hommage à son père et sublimer sa douleur. Ce
sera le bouleversant Mort d’un silence,
qui vient de séduire, émouvoir et surtout
inspirer le documentariste William Karel,
plutôt habitué des coulisses du pouvoir
politique où il a réalisé des portraits
incisifs et originaux.
Nous
sommes ici placés au niveau d’une jeune femme
largement dépassée par les événements qui
l’entourent et la brisent. Karel n’a
pas refait une enquête, mais a opté pour
l’adaptation fidèle du récit de Clémence, en
tenant éloignée toute idée de reconstitution.
Les matériaux du film sont essentiellement ceux
apportés par Clémence, constitués de photos et
de petits films de famille tournés en super-8, à
quoi viennent s’ajouter des archives d’émissions
et de journaux télévisés. Le travail de Karel
est en quelque sorte réduit à celui du monteur
et de l’assembleur car seules les images tournées
à New York où Clémence vient cacher son silence
et tenter de vaincre son chagrin sont des images
tournées par le réalisateur. L’originalité du
dispositif mis en place est encore renforcée par
l’utilisation d’une voix off, celle de Elsa
Zylberstein qui exprime les pensées et les
tourments de Clémence. S’il n’y a rien à
redire sur le procédé dont on peut au contraire
souligner la pudeur et le respect, on peut néanmoins
regretter le ton monocorde et presque aseptisé de
la comédienne.
Peu
importe, c’est là jouer les coupeurs de cheveux
en quatre. Car, plus que relater les méandres
louches et emberlificotés de l’affaire Boulouque
qui ne nous apprendra rien en matière de
collusion justice-politique sous couvert du bien
de la nation et de quelques uns de ses
ressortissants, La fille du juge donne à
voir le douloureux parcours d’une gamine,
devenue adolescente puis jeune femme solitaire
cherchant à surmonter sa peine et à rendre
hommage à la mémoire bafouée de son père.
William
Karel
réussit la mise en images d’un texte simple et
déchirant, hanté par le manque et la solitude.
On peut espérer que grâce à ce travail digne et
élégant Clémence Boulouque continue à
progresser sur le tortueux chemin qui mène à la
sérénité.
Patrick
Braganti
Film
Documentaire français – 1 h 30 – Sortie le 4
Janvier 2006
Avec
Clémence Boulouque et la voix de Elsa Zylberstein
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