Le
domaine perdu de
Raoul Ruiz
[1.0]
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Raoul
Ruiz
est un cinéaste prolifique et fantasque, qui depuis
quelques années bénéficie de conditions plus
favorables (budget et casting). Il continue néanmoins
à construire une œuvre formellement audacieuse dans
laquelle la réflexion métaphysique se mêle toujours
d’un humour décapant et roboratif.
Comme
peu de spectateurs ont pu voir son dernier opus Dias
de campo à la distribution on ne peut plus
confidentielle, on se souvient donc plus généralement
de Ce jour-là (2002) dont l’histoire du tueur
tombé amoureux de la jolie héritière à liquider nous
avait enchanté par sa verve et son exubérance.
Hélas
nous ne retrouvons pas une once de cette magie dans la
dernière réalisation du cinéaste chilien qui, à
travers le parcours inextricable et haché de deux
hommes, nous livre un ennuyeux pensum sur les notions de
transmission et de filiation.
Tout
commence par une rencontre en 1932 au Chili entre un
aviateur français Antoine (François Cluzet) et
Max (Grégoire Colin) un garçon émerveillé par
ce héros vivant. Durant la seconde guerre mondiale, les
deux hommes se retrouvent à Londres où Max devenu
instructeur est chargé de remettre l’affaibli et
absent Antoine aux manettes. Tout ceci n’est plus que
souvenir puisque nous sommes en 1973 au Chili lors du
coup d’état. Max se terre et se souvient, et reçoit
la visite du fils d’Antoine.
Raoul
Ruiz
nous balade sans cesse d’une époque à l’autre et
il faut déjà un certain temps pour saisir la
chronologie et les tenants de l’histoire.
L’imbrication des deux aviateurs se renforce au cours
des années d’autant plus qu’ils partagent un
emballement commun pour Le Grand Meaulnes d’Alain-Fournier,
roman d’initiation et de mystère. Le secret et le
mutisme énigmatique imprègnent le film de bout en
bout. Antoine, dont le choix du prénom renvoie
directement à Saint-Exupéry, est un homme irrationnel,
faisant le choix du silence et de l’enfance prolongée.
Plus à l’aise dans les airs, Antoine quand il rejoint
le plancher des vaches ne se plaît guère dans la
compagnie des hommes. Face à lui, le calme Max – sans
doute le double du réalisateur – gagne en mélancolie
et nostalgie au fil du temps sans se départir de sa
diction lente et lénifiante.
Pour
marquer les différentes temporalités du Domaine
perdu, Raoul Ruiz a recours à tous les
artifices de maquillage et de grimage pour vieillir Cluzet
et Colin, ce qui dans la dernière partie, frise
le pénible et le ridicule. Comme souvent chez Ruiz,
stakhanoviste toujours en préparation du prochain film,
il ne faut pas être trop regardant sur les qualités
techniques : mise en scène négligée et
paresseuse, désynchronisation des voix, anachronisme
des accessoires, éclairages inconstants.
On
veut bien accepter l’onirisme et l’irrationalité,
le romanesque et le baroque et même l’incohérence
qui blackboule tous les codes, mais on ne peut pas se
montrer indulgents face à un cinéma aussi bâclé et
poussif. Ce survol – c’est le cas de le dire – du
vingtième siècle entre Chili et Europe ne suscite que
bâillements et engourdissements chez un spectateur
affligé et au moins aussi perdu que le domaine en
question.
Patrick
Braganti
Français
– 1 h 46 – Sortie le 1er Juin 2005
Avec
François Cluzet, Grégoire Colin
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