cinéma

Les invisibles de Thierry Jousse 

[3.0]

 

 

    Bruno (Laurent Lucas enfin loin de ses compositions méphistophéliques) est un musicien de la nouvelle génération, c’est à dire qu’il bidouille chez lui des sons sur son ordinateur portable pour les transformer en morceaux électroniques. Avec Noël son alter ego, il espère décrocher un prochain contrat. Bruno est un obsédé à la recherche permanente et compulsive de sons, ainsi il déambule dans des parcs pour y faire moisson de bruits de la nature. En marge de cette activité créatrice et essentiellement solitaire, le musicien pas mal bougon et renfrogné est un utilisateur monomaniaque des réseaux téléphoniques où dans la cacophonie des bribes de voix entendues il repère celle de Lisa. Celle-ci lui propose un rendez-vous extrêmement codifié : chambre d’hôtel, pénombre et interdiction d’allumer. Hanté par la voix de Lisa, Bruno multiplie ses appels au réseau, et lorsqu’il la revoit, il enregistre à son insu leur conversation qu’il intègre dans un morceau. Ses idées fixes viennent interférer dans sa création, le rendant agressif dans ses rapports avec Noël et leur nouvelle productrice. La rencontre inopinée et décalée avec le (ange) gardien de son immeuble, amateur de jazz peu avare de sa présence et de ses conseils lui donne une nouvelle orientation dans l’enregistrement de son premier disque.

 

    Pour son premier long métrage, l’ancien critique des Cahiers du Cinéma Thierry Jousse n’a pas choisi un sujet facile, même s’il est par ailleurs très cinématographique. Les Invisibles apparaît comme une variation sur les rapports entre musique et cinéma, l’importance de la bande-son dans un film. Passionné de musique – ses trois premiers courts métrages mettaient déjà en scène des musiciens  Jousse choisit cette activité-là comme vecteur de sa démarche qui consiste comme il le dit lui-même à « montrer comment un musicien élabore son rapport au monde à travers le son ».

 

    Cette approche du cinéma n’est pas nouvelle : on a vu des cinéastes comme Godard ou Duras proposer leur réflexion personnelle. Plus récemment on pense à Last Days dont on peut au moins reconnaître le formidable travail effectué sur le son. Par rapport à ces références tutélaires auxquelles Jousse fait allusion de loin en loin, sa proposition déçoit quelque peu plus qu’elle ne déroute ou interpelle. La bande-son multipliant les supports n’offre cependant rien de très original ni novateur. On sent que Jousse ne va pas au-delà d’une mise en sons conventionnelle, seulement illustrative des images montrées. Il n’y a pas ici force d’inventer une forme nouvelle sinon audacieuse en adéquation avec les intentions certes louables du cinéaste.

 

    En présentant son film à Cannes, Jousse déclarait avoir voulu faire un film sur « le voyeurisme auditif », notion suffisamment inhabituelle pour qu’un seul nom la définisse. Au final, Les Invisibles parle avant tout d’obsession, celle d’un créateur obnubilé par sa quête incessante des sons. En effet sa rencontre avec Lisa dont la mise en lumière casse l’enchaînement des idées ne semble même pas obéir à un besoin de l’autre. Bruno est avant tout un solitaire qui accepte avec difficultés les directives de Carole Stevens la productrice (Lio, le seul personnage qui s’inscrit dans le réel) et l’intrusion débonnaire et protectrice du gardien (Michael Lonsdale tout à fait épatant).

 

    On reste donc sur sa faim et à demi convaincus par Les Invisibles qui aurait gagné à être plus resserré et moins  bancal. On attendait plus fouillé et plus exigeant de la part d’un homme doublement passionné par la musique et le cinéma.

 

Patrick Braganti

 

Français – 1 h 25 – Sortie 15 Juin 2005

 

Avec Laurent Lucas, Lio, Michael Lonsdale, Noël Akchoté

 

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