cinéma

Little Miss Sunshine de Jonathan Dayton et Valérie Faris

[4.5]

 

 

Sourire, et même parfois rire, avec une comédie américaine inventive, sans révolutionner pour autant les lois du genre, cocasse et insolite, tendre et cruelle est devenu un plaisir si rare qu’il mérite d’être souligné. Little Miss Sunshine a tout pour obtenir un franc succès provoqué, à n’en pas douter, par le bouche-à-oreille d’un public visiblement conquis et heureux. Les commentaires entendus à la fin de la projection et les mines réjouies des spectateurs, au demeurant de tous âges, sont là pour l’attester.

 

Little Miss Sunshine met en scène la traversée des Etats-Unis, direction Ouest – ce qui l’apparente d’office au genre très galvaudé mais toujours vivace du road-movie – d’une famille atypique et passablement désunie, réunie autour de Olive, petite fille de sept ans sélectionnée au concours très couru de Little Miss Sunshine en Californie – une élection d’une miss modèle réduit, en quelque sorte. Mettre six personnes dans une vieille fourgonnette, dont l’embrayage rendra l’âme à la première occasion, pour amener la gamine à sa présentation va donner lieu à maints rebondissements, du plus tragique au plus heureux, du plus hilarant au plus émouvant dans un rythme jamais relâché.

Il faut bien dire qu’on ne pouvait pas rêver famille plus tordue et joyeusement barjo, association de loosers qui s’ignorent ou qui le savent déjà trop bien : le grand-père, coach de Olive pour un numéro détonnant révélé en fin de film, sniffe de la coke, planqué dans la salle de bains et donne des conseils de comportement sexuel pas piqués des hannetons à son petit-fils Dwayne, adolescent boudeur dissimulé sous une frange épaisse, enfermé dans un mutisme volontaire tant qu’il n’aura pas intégré l’école pour devenir pilote de chasse. Au milieu, le père et la mère, complétés de Frank, le frère de celle-ci, ne sont pas en reste dans la bizarrerie. Richard a mis au point un programme en neuf étapes qu’il essaie de vendre, transformant chacun – et d’abord ses proches – un gagnant grâce à la pratique de recettes volontaristes et positives. Sheryl joue les conciliatrices et tente de faire accepter la présence de Frank, juste sorti de l’hôpital après sa tentative de suicide manquée. Ce grand spécialiste de Marcel Proust n’a pas supporté que l’élève dont il était tombé amoureux se soit tourné vers l’autre grand connaisseur de l’écrivain français.

 

Rapidement mise en place, les deux réalisateurs ne laissent pas la famille Hoover croupir longtemps dans son pavillon. A peine un quart d’heure, et tout le monde est entassé dans le combi jaune en route pour Los Angeles. On se doute bien que le voyage sera ponctué de moments inattendus et de revers de situations. Où l’on s’apercevra qu’une même revue pornographique peut entériner une rupture ou sauver du désastre. A travers les soubresauts réconciliateurs et fondateurs de la famille Hoover, où chacun devra laisser une part de ses rêves et renouer avec une réalité moins folichonne, Jonathan Dayton et Valérie Faris mettent en relief sans complaisance et assaisonnées d’une bonne dose de vitriol les tares de la culture et la société américaines, chantres de l’exploit personnel et de l’ambition reconnue et récompensée, quitte à exposer comme animaux de cirque dressés et cabotins ses propres enfants grimées en ersatz de miss adultes.

Comme tout voyage digne de ce nom, celui des Hoover aura son aspect initiatique : il permettra certes de ressouder un clan et surtout de lui inculquer des valeurs réelles et solides, même si elles ne sont pas forcément celles partagées par les concitoyens de cette impayable tribu. Franchement revigorant, faisant poindre l’émotion avec une économie de moyens – la scène la plus touchante au bord d’une route se résume à un effleurement d’épaule -, Little Miss Sunshine est le bon et intelligent moment assuré de la rentrée.

 

Patrick Braganti

 

Comédie américaine – 1 h 40 – Sortie 6 Septembre 2006

Avec Greg Kinnear, Toni Collette, Steve Carell