Sourire,
et même parfois rire, avec une comédie américaine
inventive, sans révolutionner pour autant les
lois du genre, cocasse et insolite, tendre et
cruelle est devenu un plaisir si rare qu’il mérite
d’être souligné. Little Miss Sunshine a
tout pour obtenir un franc succès provoqué, à
n’en pas douter, par le bouche-à-oreille d’un
public visiblement conquis et heureux. Les
commentaires entendus à la fin de la projection
et les mines réjouies des spectateurs, au
demeurant de tous âges, sont là pour
l’attester.
Little
Miss Sunshine met en scène la traversée des
Etats-Unis, direction Ouest – ce qui
l’apparente d’office au genre très galvaudé
mais toujours vivace du road-movie – d’une
famille atypique et passablement désunie, réunie
autour de Olive, petite fille de sept ans sélectionnée
au concours très couru de Little Miss Sunshine
en Californie – une élection d’une miss modèle
réduit, en quelque sorte. Mettre six personnes
dans une vieille fourgonnette, dont l’embrayage
rendra l’âme à la première occasion, pour
amener la gamine à sa présentation va donner
lieu à maints rebondissements, du plus tragique
au plus heureux, du plus hilarant au plus émouvant
dans un rythme jamais relâché.
Il
faut bien dire qu’on ne pouvait pas rêver
famille plus tordue et joyeusement barjo,
association de loosers qui s’ignorent ou qui le
savent déjà trop bien : le grand-père,
coach de Olive pour un numéro détonnant révélé
en fin de film, sniffe de la coke, planqué dans
la salle de bains et donne des conseils de
comportement sexuel pas piqués des hannetons à
son petit-fils Dwayne, adolescent boudeur dissimulé
sous une frange épaisse, enfermé dans un mutisme
volontaire tant qu’il n’aura pas intégré
l’école pour devenir pilote de chasse. Au
milieu, le père et la mère, complétés de
Frank, le frère de celle-ci, ne sont pas en reste
dans la bizarrerie. Richard a mis au point un
programme en neuf étapes qu’il essaie de
vendre, transformant chacun – et d’abord ses
proches – un gagnant grâce à la pratique de
recettes volontaristes et positives. Sheryl joue
les conciliatrices et tente de faire accepter la
présence de Frank, juste sorti de l’hôpital
après sa tentative de suicide manquée. Ce grand
spécialiste de Marcel Proust n’a pas supporté
que l’élève dont il était tombé amoureux se
soit tourné vers l’autre grand connaisseur de
l’écrivain français.
Rapidement
mise en place, les deux réalisateurs ne laissent
pas la famille Hoover croupir longtemps dans son
pavillon. A peine un quart d’heure, et tout le
monde est entassé dans le combi jaune en route
pour Los Angeles. On se doute bien que le voyage
sera ponctué de moments inattendus et de revers
de situations. Où l’on s’apercevra qu’une même
revue pornographique peut entériner une rupture
ou sauver du désastre. A travers les soubresauts
réconciliateurs et fondateurs de la famille
Hoover, où chacun devra laisser une part de ses rêves
et renouer avec une réalité moins folichonne, Jonathan
Dayton et Valérie Faris mettent en
relief sans complaisance et assaisonnées d’une
bonne dose de vitriol les tares de la culture et
la société américaines, chantres de l’exploit
personnel et de l’ambition reconnue et récompensée,
quitte à exposer comme animaux de cirque dressés
et cabotins ses propres enfants grimées en ersatz
de miss adultes.
Comme
tout voyage digne de ce nom, celui des Hoover aura
son aspect initiatique : il permettra certes
de ressouder un clan et surtout de lui inculquer
des valeurs réelles et solides, même si elles ne
sont pas forcément celles partagées par les
concitoyens de cette impayable tribu. Franchement
revigorant, faisant poindre l’émotion avec une
économie de moyens – la scène la plus
touchante au bord d’une route se résume à un
effleurement d’épaule -, Little Miss
Sunshine est le bon et intelligent moment
assuré de la rentrée.
Patrick
Braganti
Comédie
américaine – 1 h 40 – Sortie 6 Septembre 2006
Avec
Greg Kinnear, Toni Collette, Steve Carell
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