Mysterious
Skin de Gregg Araki
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On sait qu’aux Etats-Unis le thème de
l’adolescence, période trouble et fondatrice de
l’avenir, est le cheval de bataille – le fonds de
commerce diront les grincheux – d’un trio de cinéastes
indépendants et talentueux. Gus Van Sant a
choisi l’allégorie et la poésie portées à leur acmé
dans Elephant. Le sulfureux Larry Clark
voue une passion équivoque et esthétique aux
adolescents. Le plus discret Gregg Araki s’est
quant à lui d’abord illustré par une trilogie dédiée
à « l’apocalypse adolescente » en
forme d’auscultation des désirs et des angoisses de
ses jeunes héros.
Après un peu convaincant Splendor sorti sous le
manteau en 1999, le jeune réalisateur d’origine
asiatique installé à Los Angeles nous revient avec ce
qu’il faut bien considérer comme son meilleur film.
Or le pari n’était pas à priori gagné tant le sujet
évoqué s’annonçait casse-gueule : comment deux
jeunes enfants victimes d’un pédophile se débrouillent
dans leur vie à venir avec ce traumatisme. Ainsi formulée,
il ressortirait que la trame de Mysterious Skin
soit glauque, poisseuse et dramatique. Rien n’est ici
aussi tranché, aussi manichéen. Car les deux garçons
sont diamétralement opposés et vont de ce fait
« digérer » l’événement de façon tout
aussi dissemblable.
D’un
côté, Brian Lackey, petit blond binoclard, a opté à
son corps défendant pour l’oubli, l’effacement de
sa mémoire des quelques heures passées en compagnie de
son entraîneur de base-ball, symbole évident de la
virilité et de l’Amérique profonde. Pour justifier
son amnésie temporaire et ses saignements de nez
abondants et répétitifs, il se convainc d’avoir été
enlevé par des extra-terrestres. Devenu adolescent
timide et renfermé, il se lie d’amitié avec une
jeune femme persuadée d’avoir subi le même
kidnapping.
De
l’autre, Neil Mc Cormick devient le préféré de
l’entraîneur, parce qu’il est le meilleur au
base-ball et qu’il accepte sans rechigner ses caresses
et ses attouchements. Plus étrange encore, quelques années
plus tard, Neil à la beauté vénéneuse vend son corps
gracile aux hommes mûrs et virils de sa ville et éprouve
une lancinante nostalgie de son amour de jeunesse. Pour
lui, il s’agissait en effet d’un amour partagé,
nullement subi.
Entre l’oubli salvateur et la plongée dans le cynisme
et le refus de s’attacher, Gregg Araki montre
les effets ravageurs et insidieux du traumatisme infligé,
caractérisé par l’impossibilité parallèle des deux
adolescents à vivre en harmonie. L’un a grandi trop
vite et rejoue à l’infini la période perçue comme
enchanteresse de sa prime enfance, perdant au passage
toute spontanéité et toute croyance en l’amour.
L’autre n’a plus réellement grandi, bloqué sur un
moment enfoui et traumatique.
Malgré
la crudité de quelques scènes, le réalisateur choisit
la manière doucereuse et poétique en privilégiant le
filmage en caméra subjective. Les images ne sont que le
reflet des souvenirs édulcorés ou enjolivés de Brian
et Neil et pas le compte rendu exhaustif et froid de
leur relation avec l’entraîneur.
Le
charme de Mysterious Skin, adaptation du roman
homonyme de Scott Heim, provient avant tout de la
tendresse manifestée par Gregg Araki envers ses
deux personnages, notamment dans un dernière scène à
la poésie renversante. Le lyrisme jamais lourd ni appuyé,
la sensibilité exacerbée du cinéaste qui évite tout
exhibitionnisme facile, sans oublier le jeu subtil et
nuancé des acteurs, font de ce film au sujet pourtant
sordide une totale réussite.
Patrick
Braganti
Film
américain – 1 h 39 – Sortie le 30 Mars 2005
Avec
Brady Corbet, Joseph Gordon-Levitt, Elisabeth Shue
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