Une
société aseptisée dans laquelle chacun se
satisfait de son sort, se montre sympa à l’égard
des autres, disposé à satisfaire ses envies et
à contribuer à son bonheur pourrait être la
société idéale de demain. Idéale, rien n’est
moins sûr, et en tout cas pas pour Andréas
parachuté d’on ne sait où dans une ville étrange,
où on lui octroie un emploi de comptable en
charge de saisir des chiffres sur ordinateur au
milieu de collègues pleins de sollicitude et de
jolies filles très réceptives à ses avances.
Avant d’être conduit dans ce paradis très
artificiel, Andréas passe par une zone désertique,
paysage grandiose de cendres enlaidi par une
vieille station-service, espèce de conciergerie sésame
pour pénétrer dans le pays du bonheur permanent.
Pourtant,
la mécanique bien huilée semble connaître
quelques ratés : un homme empalé sur une
grille, sans doute suicidé, sans que sa présence
vite effacée affecte la vie de la ville ;
l’absence de goût des aliments et celle de
l’effet de l’alcool. Pire, lorsque Andréas
s’ampute volontairement de son doigt sous le
massicot, il récupère sa main intacte en ôtant
son pansement et son entourage ne paraît éprouver
aucun sentiment pour ses déboires ni montrer la
moindre volonté. Seules les préoccupations esthétiques
de la décoration intérieure de leurs
appartements sont à l’ordre du jour des
conversations des collègues d’Andréas, ravis
d’une vie impersonnelle où l’on n’entend
jamais un cri ou un rire d’enfant. Andréas
rencontre Hugo, terré dans un taudis souterrain
et ils échafaudent ensemble des projets d’évasion.
Auréolé
du Grand Prix du dernier festival du film
fantastique de Gérardmer, Norway of life
renouvelle les codes du genre en ne présentant
que très peu de scènes gore (image fugitive du
suicidé et mutilation d’Andréas). L’effroi
ressenti provient dès lors du climat absolument
terrifiant qui règne dans la ville. Terrifiant
parce que la vie désincarnée et déshumanisée y
est synonyme de vacuité, de vide absolu à
l’image des échanges creux d’Andréas et de
ses collègues. Le réalisateur utilise une
palette de tons pâles et gris, des décors
urbains froids où le verre et l’acier sont
omniprésents pour dépeindre une ville
apparemment calme, placée sous contrôle de
patrouilles chargées de remettre le rebelle dans
le droit chemin et de réparer ses errements, au
propre comme au figuré.
Cette
ville factice, trop parfaite n’est pas sans
rappeler celle où habitait Truman Burbank, le héros
manipulé de The Truman Show. D’autre
part, le décervelage d’une population promise
à une sérénité inauthentique, donc conditionnée
et heureuse de l’être, trouve bien sûr des
points d’ancrage avec celle imaginée par George
Orwell, chantre de la dénonciation du
totalitarisme dans ses romans d’anticipation
On
n’est pas obligés d’attribuer une dimension
politique à Norway of life, par ailleurs
très croustillant dans sa subtile diatribe contre
un certain modèle scandinave. Il est aisé de
comprendre qui est visé à travers tous les intérieurs
standardisés et proprets, érigés en nouveau
« way of life ». Et lorsque
Andréas est remercié par son patron, on lui
vante la nécessité du changement et de
l’adaptation. C’est sans doute sa scène la
plus improbable et la plus burlesque – Andréas
broyé par une ribambelle de métros – qui
qualifie le mieux cet étrange film, qui, dans sa
partie hors ville et hors studio, bénéficie
d’un décor naturel magnifique, installant de
lui-même une impression malsaine.
Dernière
référence, et pas des moindres, l’univers
kafkaïen n’est jamais très loin. C’est là
le meilleur compliment à adresser à Norway of
life, film intrigant et décalé se jouant
avec jubilation d’un monde si absurde et lénifiant
qu’il en devient proprement angoissant.
Patrick
Braganti
Drame
fantastique norvégien – 1 h 35 – Sortie le 28
Mars 2007
Avec
Trond Fausa Aurvag, Petronella Barker, Per
Schaaning
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