La
famille comme chaudron sans cesse rallumé dans
lequel tout artiste commettant sa première œuvre
puise inspiration, pour peu que celle-ci croise
ses propres souvenirs. A cette règle maintes fois
éprouvée pour le meilleur et le pire, Joachim
Lafosse, jeune belge de trente-deux ans, réalisateur
et scénariste, ne déroge pas. Nue propriété
s’articule ainsi autour d’une famille composée
d’une mère Pascale (Isabelle Huppert débarrassée
de ses afféteries récentes à notre plus grande
joie) et de ses deux fils, faux jumeaux Thierry et
François.
Restés
auprès de leur mère après le départ de Luc
leur père, ils sont de plus en plus perçus par
celle-là comme un obstacle majeur à régir sa
vie comme elle l’entend : arrêter son
travail, refaire sa vie et vendre la maison. Outre
le désir légitime d’émancipation de Pascale,
Thierry, le plus agressif et autoritaire des deux
frères, réfute également le projet de céder
l’immense propriété dont il revendique l’héritage
et le pouvoir d’en décider son avenir. Car la
maison, imposante et délabrée, presque laissée
à l’abandon, apparaît comme le cocon douillet
et rassurant des grands gamins immatures et égoïstes
que sont beaucoup Thierry et un peu François par
mimétisme. L’un est étudiant guère assidu et
l’autre sans boulot s’escrime à remettre en
état les volets de la propriété.
L’annonce
de la fin prochaine de cette situation confortable
provoque une guerre fratricide entre le colérique
et l’introverti, suivie de la démission de
Pascale partie chez une amie. Dans une ambiance de
plus en plus tendue et violente, le drame
pressenti finit par se produire, en dynamitant les
restes d’un semblant de cohésion.
Joachim
Lafosse se démarque du cinéma habituel belge
en n’ancrant pas Nue propriété dans un
environnement social déterminé, comme se situe généralement
le cinéma belge en général, celui des frères Dardenne
en particulier. Ici en fait le décor se limite
pour l’essentiel à la maison, à l’intérieur
et dans ses abords immédiats, qui devient donc un
personnage à part entière de l’histoire et
constitue le lien qui relie les membres de la
famille entre eux. L’importance du lieu est si
significative que le cinéaste opte pour de longs
plans fixes, aux cadres serrés qui symbolisent
celui de la maison, coercitif et protecteur. Pour
s’en éloigner, les personnages abandonnent de
fait leur présence à l’image. Nue propriété
ne se limite pas au seul portrait de deux « Tanguy »
belges mais se livre aussi à une déconstruction
en règle de la cellule familiale, mettant à vif
les cicatrices mal refermées d’une séparation
sans doute mal vécue par Thierry. Par sa dureté,
voire sa méchanceté, envers sa mère, on est
enclin à le voir pencher pour son père, alors
que François, conciliant et suiviste, montrerait
une préférence pour sa mère.
La
famille est ici vue comme le territoire où
s’exerce l’apprentissage de la démocratie et
de la mixité, le plus souvent dans le conflit et
l’affrontement
.
Dans
un style qui fait souvent penser à Pialat,
Nue propriété séduit aussi par son
interprétation dont l’originalité majeure réside
dans le fait que Thierry et François soient joués
par deux frères authentiques : Jérémie
et Yannick Rénier. Si l’on connaît bien
le premier, le second, comédien de théâtre, ne
démérite pas. Dans le film, leur relation
fusionnelle, très électrique et physique, les
unit comme un bloc érigé face à une mère
manifestement débordée, ayant peine à canaliser
l’agressivité de ses fils et à accepter
l’inversion des rôles. Comme chez Pialat,
on l’aura compris, il est ici question de
douleurs et de souffrances qui s’expriment dans
la colère, les cris et les coups. Une histoire
somme toute banale que Joachim Lafosse
parvient à renouveler dans un film très
prometteur à la sauvagerie débridée et imprévisible,
prête à jaillir à tout instant.
Patrick
Braganti
Drame
belge – 1 h 30 – Sortie le 21 Février 2007
Avec
Isabelle Huppert, Jérémie Rénier, Yannick Rénier
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