La
relation amoureuse de Sonia, prof de chimie et de
Cheyenne, journaliste, a été la victime d’une
fusion ; non pas celle entre elles deux, ce
qui serait étrangement paradoxal, mais entre la
boîte de Cheyenne et une autre du côté de
Singapour. Ce qui lui a coûté sa place et depuis
Cheyenne, têtue et entière, en lutte contre la
société de consommation, touche le fond, sans
argent. Sonia, refusant la marginalité et
s’accomplissant dans son métier de prof, a préféré
quitter Cheyenne, laquelle a tout plaqué pour
aller rejoindre Edith, dans sa caravane de
fortune, coupée du monde et de ses contraintes.
Malgré une double rencontre avec d’une part Béatrice,
volontariste et franchement matérialiste, et avec
d’autre part Pierre jeune homme en quête
d’amour e d’idéal, Sonia ne parvient pas à
oublier Cheyenne qu’elle rejoint en Bourgogne.
Tout
d’abord évacuons l’homosexualité féminine
du film. Comme dans Brokeback Mountain, le
fait d’avoir affaire à deux êtres de même
sexe est totalement anecdotique, et donc ni une
cause à défendre, ni une singularité à
revendiquer. Ici pas le moindre problème à
assumer qui on est, pas de culpabilité à sortir
dans un bar un soir de cafard pour y combler
quelques heures de solitude (Béatrice).
Les
problèmes auxquels sont confrontés Cheyenne, et
par ricochet Sonia, sont autrement plus concrets :
laminée par la cruauté économique et sociale,
l’orgueilleuse Cheyenne refuse toute aide de
Sonia et n’a plus les moyens de demeurer à
Paris. L’amour peut-il avoir raison de telles
difficultés, et accessoirement d’une telle différence
de points de vue sur la société et la manière
de mener sa vie ? Le dénuement choisi et
assumé avec bravade par Cheyenne peut-il trouver
un écho dans la vie confortable de Sonia, par
ailleurs empreinte de doutes et pétrie de
contradictions ?
Dans
son premier tiers, la forme narrative du film est
assez bizarre, presque déroutante. Les
personnages s’invitent un peu partout -
Pierre dans la chambre de Sonia et Béatrice, par
exemple – et s’adressent directement au
spectateur en une incarnation de leur inconscient.
C’est aussi une volonté de la réalisatrice de
traiter avec légèreté, sur le ton de la comédie,
un sujet grave et rebutant.
Ensuite
on passe à une structure plus classique, surtout
quand le film remet en présence Cheyenne et Sonia
que l’on n’a jamais vues ensemble pendant la
première partie. Dès lors, leur réunion et
l’intensité qui s’en dégage rend caduc un
procédé narratif travaillant sur l’onirisme et
la télépathie.
A
l’image des professions de Sonia et de Cheyenne,
en lien direct avec le monde, où la notion
d’engagement est déterminante et son retrait le
fruit d’une longue démarche personnelle, Oublier
Cheyenne, qui ne se veut pas intrinsèquement
militant, s’inscrit néanmoins dans le réel et
prend pied dans le contemporain. En plaçant ses
cinq personnages principaux sur une même ligne
qui va de l’acceptation du système à son rejet
total, Valérie Minetto réussit à présenter
des points de vue différents – chacun étant
engagé à sa manière tant sur le plan idéologique
qu’affectif. En cela, l’histoire d’amour se
double d’un regard politique.
Très
largement inspiré des propres expériences de la
réalisatrice, Oublier Cheyenne est un
premier long métrage personnel et prometteur,
dont le titre et les morceaux de guitare sèche
sont un joli clin d’œil au western et notamment
à Johnny Guitar de Nicholas Ray. En
dépit de la dureté affichée de l’époque, Valérie
Minetto en concluant par les retrouvailles de
ses deux héroïnes parie aussi sur le triomphe et
la force de l’amour, permettant épanouissement
et générosité.
Patrick
Braganti
Comédie
dramatique française – 1 h 30 – Sortie le 22
Mars 2006
Avec
Mila Dekker, Aurélia Petit, Laurence Côte
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