Paradise Now
de Hany Abu-Assad
[4.5]
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En toute logique, les médias ne se penchent sur les
kamikazes qu’une fois morts, c’est à dire après
accomplissement de leur mission de bombe humaine,
mission qui paraît pour nous Occidentaux entretenant un
rapport de peur abyssale avec la mort incompréhensible
et folle, venant se briser sur les logiques de nos
raisonnements.
Hany
Abu-Assad,
réalisateur palestinien exilé aux Pays-Bas, choisit
pour son second film de se concentrer sur la période
qui précède de quelques jours la survenue d’un
attentat avec la désignation de deux terroristes et
leur préparation. A Naplouse, ville principale de
Cisjordanie, Saïd et Khaled nous apparaissent comme
deux bons amis, travaillant ensemble chez un garagiste,
partageant du bon temps à fumer le narguilé. Pourtant
une dispute avec un client à propos de la pose d’un
pare-chocs pose déjà en exergue l’impossibilité à
écouter l’autre et recevoir ses arguments. Toujours
est-il que Khaled perd son job. Peut-être cette
soudaine disponibilité et la fragilité en résultant
constituent-elles l’opportunité idéale pour Jamal,
un des chefs de la faction où Khaled et son ami sont
engagés volontaires à les désigner comme les deux
kamikazes d’une prochaine opération organisée à
Tel-Aviv. Après une dernière nuit passée auprès de
leurs proches, les deux jeunes hommes sont « préparés »
et briefés pour leur expédition dont le déroulement
va connaître quelques imprévus…
La
motivation principale du cinéaste est d’avoir voulu
raconter la vie de gens dont on ne parle jamais, sinon
dans la presse suite à leurs exactions. A travers
l’histoire de Khaled et Saïd, il montre l’enchaînement
des circonstances qui peut conduire deux hommes
apparemment inoffensifs et nullement activistes purs et
durs à se lier par un contrat moral irrévocable qui un
jour fera d’eux des terroristes. Il questionne en
filigrane l’influence du passé et de
l’environnement ; SaId porte comme un fardeau le
poids du passé de son père collabo. Hany Abu-Assad
ne fait que montrer et ne porte ici aucun jugement, sans
bien sûr approuver car l’attentat suicide demeure
bien un acte extrême et condamnable. Dans une Palestine
occupée qui transforme la vie de ses habitants en
prison à perpétuité, la seule issue semble donc être
la mort, garantie de l’accès au paradis céleste. Il
n’est même pas certain que ces hommes soient
totalement convaincus de son existence, mais Khaled opte
pour le « paradis dans la tête, plutôt que
l’enfer ici ».
Après
avoir été informés, Khaled et Saîd sont pris en
charge par la faction pour un enregistrement filmé de
l’adieu à leur famille avec force citations
religieuses. Moment qui pourrait être terrible, mais
qui devient soudain burlesque par la panne de la caméra
tandis que deux factionnaires bâfrent sans gêne devant
les futurs martyres. Cet esprit burlesque et décalé,
qui était déjà la marque de fabrique d’Intervention
divine d’Elia Suleiman en 2001, irrigue la
seconde partie de Paradise Now quand les choses
ne se passent pas comme prévu et qu’il faut récupérer
un Saïd perdu et porteur d’une ceinture de bombes.
Car Paradise Now ne se contente pas d’être un
témoignage pamphlétaire, il est également un vrai
film de cinéma avec sa narration et sa dramaturgie
propres.
On
ose imaginer les difficultés rencontrées à tourner
une telle histoire sur les lieux mêmes du conflit
actuel et l’immense attente de son réalisateur sur la
réception de son travail, qui sera projeté dans les
prochaines semaines en Israël, ainsi que dans plusieurs
villes des territoires occupés. Même si Hany
Abu-Assad est palestinien et confesse « l’impossibilité
à décrire tout le poids et la complexité de la tragédie
palestinienne dans un film », il ne peut ici
être soupçonné de parti pris. Au contraire, il faut
saluer comme il se doit sa détermination farouche à
tenter de comprendre ce qui dépasse l’entendement général,
persuadé que seule cette tentative permettra de sortir
du cercle vicieux des attentats et de leurs représailles.
Une détermination mise au service d’un film
bouleversant, en totale empathie avec ses personnages
perdus et devenus sourds mêmes aux voies de l’amitié
et de l’amour. Des êtres à jamais marqués du sceau
de cette tragédie, comme le montre cette dernière
succession de plans fixes sur le regard des
protagonistes. Regard qui poursuit le spectateur bien
après avoir quitté l’obscurité de la salle.
Patrick
Braganti
Film
Palestinien – 1 h 27 – Sortie le 7 Septembre 2005
Avec
Lubna Azabal, Hiam Abbass, Kais Nashef
Sur
la question épineuse du phénomène des kamikazes, on
peut prolonger la réflexion après la vision de Paradise
Now par la lecture de deux romans.
Celui
de l’israélien Avraham B.Yehoshua : Le
responsable des ressources humaines (Calmann-Lévy)
se penche sur le sort d’un homme éprouvé par la mort
d’un de ses employés dans un attentat.
L’attentat de l’algérien Yasmina Khadra
(Julliard) questionne la notion même du kamikaze dans
un roman extraordinaire et généreux.
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