Il
existe en Irlande une minorité indigène nommée
les Irish Travellers. Ils possèdent un
système de valeurs, une langue, des coutumes et
des traditions qui en font une communauté
rapidement identifiable, à l’image des Roms
d’Europe centrale. Régis par des modes de vie
et une culture fondées sur des siècles de
tradition nomade, les Irish Travellers ont
été rejetés aux marges de la société
irlandaise dite sédentarisée. Sans cesse relégués,
ils continuent même aujourd’hui à être
marginalisés et sont amenés à changer
continuellement d’endroits, vivant le plus
souvent dans des caravanes au bord des routes,
sans accès à un confort minimal, privés d’eau
courante, de toilettes et d’électricité.
Le
premier long-métrage de Perry Ogden, aux
frontières du documentaire, prend comme sujet
principal la famille Maughan, des Irish
Travellers, une mère et ses dix enfants,
parmi eux la toute jeune Winnie autour de laquelle
le film s’articule. Le projet de Pavee
Lackeen est né de la même manière que
celui, voici quelques semaines, conduit par Larry
Clark pour Wassup Rockers, soit par une
série de photographes publiées dans un livre
dont l’audience a motivé leur auteur à
poursuivre la démarche en basculant vers le cinéma.
Là s’arrête la ressemblance : les sujets
sont bien sûr assez éloignés.
Exclue
de l’école après une bagarre – c’est
d’ailleurs la quatrième en une semaine -,
Winnie déambule dans la ville tout en continuant
à assurer la survie des siens : chercher de
l’eau, investir au sens physique du terme les
containers de vieux vêtements pour y trouver de
quoi s’habiller, chercher un nouveau lieu
d’habitation puisque les Maughan sont menacés
d’expulsion. Ils seront en fait assignés sur un
autre terrain à peine distant de deux cent mètres,
mais hors de la circonscription municipale.
Winnie
a onze ans, elle n’est encore qu’une gamine
tour à tour boudeuse et espiègle, douce et déjà
abîmée par ses conditions de vie, attirée par
les lumières de la ville : les vitrines décorées
de belles robes de mariée, une salle de jeux vidéo
où elle reproduit les pas d’un danseur virtuel,
quelques boutiques exotiques. Sa mère, soucieuse
de l’éducation de ses enfants qu’elle
voudrait voir intégrer une scolarité normale,
est visitée par des assistantes sociales
conciliantes, mais peu efficaces.
Pavee
Lackeen se présente comme une succession de
vignettes de la vie quotidienne de Winnie. Sans
misérabilisme mais aussi sans désir d’en atténuer
la brutalité qui amène à nier l’enfance
d’une petite fille. En choisissant d’inscrire
son film dans le réalisme social, Perry Ogden
trouve logiquement sa place aux côtés de son
compatriote Ken Loach et des frères Dardenne,
dont la Rosetta pourrait bien être la
grande sœur de Winnie. L’exclusion ne
connaissant pas de frontières, répétant à
l’infini les mêmes stigmates et causant les mêmes
dégâts.
A
l’heure où l’Irlande est montrée comme une
des grandes réussites actuelles de l’Europe, Pavee
Lackeen vient aussi nous rappeler que chaque médaille
connaît son revers, en nous faisant pénétrer de
plain pied dans la vie des Maughan.
Patrick
Braganti
Drame
irlandais – 1 h 27 – Sortie le 3 Mai 2006
Avec
Winnie Maughan, Rose Maughan, Michael Collins,
Helen Joyce
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