Si
le cinéma sud-américain cherchait son Orange
mécanique, il pourrait bien l’avoir trouvé
dans ce Presque frères de Lucia Murat,
film coup de poing sur l’univers carcéral brésilien,
la sophistication de Kubrick en moins,
l’autobiographie en plus.
Comme le souligne sa réalisatrice, le film a été
"un voyage à reculons dans le temps". Membre
de la guérilla en lutte contre la dictature
militaire il y a 30 ans, Lucia Murat semble
imprimer sur l’écran les traitements qu’elle
a elle-même subi dans les geôles de son pays :
arrestation, torture, humiliations...
Aidée par son scénariste Paulo Lins
- auteur du célèbre roman La cité de Dieu -
Lucia Murat dresse un portrait saisissant, parfois
écœurant, de prisonniers politiques tentant, au
fond du mitard, d’organiser une rébellion quasi
abstraite.
Rythmé par une voix-off faisant le lien
entre les années 70 et aujourd’hui, le film
prend appui sur deux anciens compagnons de
cellule, aux destins opposés. L’un est devenu
membre du congrès, l’autre a érigé dans les
favelas de Rio un monde sans foi ni loi.
Si le destin les rendra "presque frères"
(le
titre est très ironique) (*) les retrouvailles
sont tout sauf une réconciliation. L’élu du
peuple, qui cherche à reconstruire une société
en miettes, se heurte à un roc, celui du
nihilisme. "Pour toi, tout se ramène au peuple
?", lance le premier", "Au peuple, à la
pagaille et à la souffrance". répond le
second.
Une grande partie du film s’articule
d’ailleurs sur la dualité : celle des époques,
mais aussi celle de la fatalité sociale (peut t'on échapper à son statut ?) et de la lutte
quasi hormonale du pouvoir, en cellule ou dans la
rue. C’est d’ailleurs la sauvagerie d’un
viol qui établira la jonction entre les deux co-détenus
: celui de la fille du notable, ayant entrepris
une relation quasi tragique avec un chef de gang.
Autre victime "collatérale" : l’animal. En
l’occurrence, un chat. Comme dans 1900,
le
film de Bernardo Bertolucci, le félin est
le symbole du sadisme humain. On se souvient de la
façon dont Donald Sutherland écrasait à coup de
tête un chat crucifié (symbolisant le
communisme) dans le film du réalisateur italien.
Dans Presque frères, un chat, adopté par
un prisonnier, finira étouffé dans un sac,
"à
la barbare".
Comme tous les scripts à "duos" la caricature
guette souvent dans le film de Lucia Murat.
Le recours à une citation de l’écrivain Fernando
Pessoa ("Nous avons tous deux vies, la rêvée
et la vécue") au début et à la fin du film
semble plaquée plus qu’incarnée. Mais pour
reprendre la fameuse pique de Pierre Desproges
sur les pseudos journalistes engagés qui ont le
courage "de critiquer Pinochet à moins de 10
000 kilomètres de Santiago du Chili" il me
semble avisé conviendra d’observer une
bienveillance stylistique face à la chair
meurtrie.
Alors, si on passe outre d’autres facilités
(les séquences de carnaval qui ouvrent et
referment le film n’apportent rien d’essentiel
si ce n’est un exotisme forcé) on verra dans Presque
frères, un témoignage cathartique, l’une
des premières prises de paroles cinématographiques
depuis l’accession de Lula au pouvoir.
En ce sens, "L’année du Brésil" aidant, ce
film moite, trouvera sans doute un écho supplémentaire
dans nos salles. La moisson de prix qu’il a
accumulé dans bon nombres de festivals depuis un
an, semble l’indiquer...
Pierre Gaffié
Film
franco-brésilien – 1h42 – Sortie le 7 Décembre
2005
Avec Flavio Bauraqui, Caco Ciocler, Wener Schünemann...
*Il est d’ailleurs très intéressant de noter la
multiplication des titres de film ambigus voire
mensongers. Depuis le piteux “La vie est
belle” de Roberto Begnini à “Joyeux Noël”
de Christian Carion en passant par “La
vie rêvée des anges” d’Eric Zonca.
Concernant ce dernier film, on peut se demander
si, affublé d'un autre titre, il aurait donné
envie au Vatican d'organiser une projection privée
pour Jean-Paul II...
>
Réagir
sur le forum cinéma
|