Dans
un Glasgow quadrillé de caméras, Jackie
travaille comme opératrice de vidéosurveillance.
Face à son mur d’écrans, elle observe tour à
tour avec tendresse et sagacité, avec froide
efficacité et sens à l’affût, le comportement
de ses concitoyens en vue de prévenir les actes délinquants
en tous genres et de solliciter l’intervention
de la police dans les meilleurs délais. Voyeuse
professionnelle d’un quartier glauque que
balayent des vents violents charriant quantité de
papiers gras et de détritus au milieu de tours
insalubres, Jackie fait de chaque spectateur un
voyeur observant avec la même curiosité tel
homme promenant son chien, vieux et obèse, telle
femme de ménage dansant casque sur les oreilles,
tel couple faisant l’amour à la sauvette le
long d’un mur. Soudain, en zoomant sur cette scène
chaude et fugace, Jackie pense reconnaître un
homme qui serait à l’origine de ses problèmes,
de son mal-être actuel. Car c’est indéniable :
Jackie, qui vit seule et se déclare volontiers
peu sociable, n’a pas l’air d’aller très
bien. L’invitation de sa belle-sœur à son
mariage livre un début de piste sur une vie antérieure,
aujourd’hui saccagée.
Comme
Red Road est aussi un thriller qui ne se résout
réellement qu’à la fin, malgré les éléments
amenés petit à petit, il ne sera pas possible
d’en dévoiler davantage. Red Road, qui a
remporté le Prix du Jury au dernier festival de
Cannes, premier film d’une réalisatrice réputée
de courts métrages, présente bien des défauts,
mais est loin de laisser indifférent du fait même
de ses partis pris de mise en scène, de l’âpreté
de son sujet et de son interprétation
convaincante.
Il
faut d’abord se familiariser avec une image
saturée et excessivement mobile (celle surtout
vue à travers les écrans de contrôle scrutés
par Jackie), avec une caméra collant au plus près
de ses personnages, ne leur accordant aucun répit,
aucune distance. Cela crée sûrement une tension
progressive, mettant mal à l’aise un spectateur
ballotté au propre comme au figuré. Red Road
est à ce point de vue éprouvant, comme l’avait
été Keane l’année passée, avec lequel
il a au moins en commun de se situer dans un
environnement sordide, quartier dévasté et miséreux,
et d’être investi de personnages dépressifs,
rongés par la culpabilité, cherchant à se
maintenir debout. En cela, Jackie est plutôt
complexe et surprenante, passant par toute une
palette de sentiments. Clyde, l’homme qu’elle
a identifié, lui inspire aussi bien de
l’attirance physique que de la répulsion. Ainsi
a t-elle autant envie de meurtre que de sexe, dans
une recherche presque masochiste de plaisirs et de
douleurs.
Noir
et sulfureux, Red Road est aussi le
portrait réussi d’une femme brisée, enfermée
dans sa douleur. C’est également un film
imparfait et oppressant dont on regrettera
quelques longueurs dilatoires, mais qui finit sous
son aspect rugueux et mal aimable par dégager
intensité et émotion. Il restera à Andrea
Arnold de confirmer un talent singulier et en
devenir.
Patrick
Braganti
Drame
britannique – 1 h 53 – Sortie le 6 Décembre
2006
Avec
Kate Dickie, Nathalie Press, Andrew Armour
Plus+
Site
du film : www.redroad-lefilm.com
|