Retour
à Kotelnitch
de Emmaneul
carrère
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Un train
traverse d’immenses espaces enneigés. A l’intérieur,
ça boit et ça chante pas mal. Presque normal puisque
nous sommes en Russie, à quelques centaines de kilomètres
à l’est de Moscou. Vision de clichés peut-être, mais Emmanuel
Carrère avoue lui-même que la confirmation par la
confrontation au quotidien des poncifs prêtés à une
culture lui plaît pas mal. Carrère est aussi dans
ce train en route pour Kotelnitch où il se rend pour la
troisième fois. Deux ans en arrière, il y était allé
tourner un reportage à la demande du magazine Envoyé
spécial sur un vieil hongrois prisonnier de guerre
russe, retenu depuis plus de cinquante ans qui n’avait
jamais appris le russe et vivait encore en reclus dans un
hôpital psychiatrique. Lors de ce voyage, Carrère
sympathise avec quelques autochtones, dont Ania et Sacha.
La jeune femme qui a appris le français et a épousé
Sacha, un membre de l’ ex-KGB, l’intrigue particulièrement.
Naît alors l’idée d’un film, une sorte de
documentaire d’abord très flou, mais l’écrivain en
passe de devenir cinéaste se sent inexorablement attiré
par cette bourgade.
Dix-huit mois
plus tard, un second voyage a lieu guère productif. Pas
mal d’images sont tournées sans lien, sans motif réel :
des passages de trains – nous sommes sur la ligne Pékin
Moscou - , des remises de prix à des lycéennes. Carrère
repart à Paris, ne cerne toujours pas mieux son projet.
Entre le second et le dernier voyage, un événement
tragique se produit : Ania et son fils âgé de
quelques mois ont été soudainement assassinés par une
sorte de fou. Dès lors, Carrère a une vision plus
nette de ce que sera son film, un hommage à Ania, une
aide et un soutien à sa mère à qui il ramène des
photos et des vidéos où figure sa fille défunte. On
apprendra un peu plus tard qu’il ne lui reste qu’un
seul fils, tous ses autres enfants disparus de manière
tragique. Son troisième voyage à Kotelnitch coïncide
avec le quarantième jour suivant le deuil. Quelque temps,
il semble régner autour de ces morts un parfum de complot
ou de meurtre prémédité. C’est la thèse de la mère
qui la justifie par le métier compromettant et dangereux
de son gendre, bizarrement muet et résigné. Mais plus
qu’un motif réel, il faut y voir pour la mère un moyen
de s’en sortir. Le film se polarise donc sur la famille
de Ania, principalement sa mère aux humeurs très
changeantes. L’observation très amicale et
compassionnelle du réalisateur de cet événement
tragique finit par se répercuter sur son propre destin,
notamment par rapport à son grand-père disparu et jamais
retrouvé à quarante-six ans.
Voici donc un
premier film étrange et atypique, mais ô combien
attachant et émouvant, réalisé par Emmanuel Carrère,
jusqu’alors écrivain talentueux attiré par les
personnages troubles et les situations pas toujours très
nettes. On peut d’autant mieux comprendre son attirance
par exemple pour l’histoire de Jean-Claude Romand, si
bien reconstituée dans son livre L’adversaire.
Ce quadragénaire, ancien critique à Télérama,
pas très éloigné du milieu cinématographique, révèle
donc un vrai regard empreint de chaleur et d’amitié.
Au-delà de l’histoire de Ania, et bien sûr à travers
la sienne propre, il pose de manière sensible et
respectueuse l’éternel problème des racines et des
origines, A Kotelnitch, Emmanuel Carrère trouve
une réponse à ses propres questionnements et en repart
apaisé et mûr, en profitant pour réfléchir à haute
voix sur les notions conjuguées du hasard et du destin.
Apparemment séduit par la réalisation d’un film,
travail d’équipe par excellence qui fascine l’écrivain
solitaire et presque secret, Emmanuel Carrère se
dit aujourd’hui disposé à continuer l’aventure, même
s’il considère unique celle du film documentaire très
personnel et préfère se tourner vers une fiction pure.
Dans tous les cas, nous attendons d’ores et déjà son
second film avec impatience.
Patrick
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