Les
circonstances et le contexte qui conduisent quatre
bons potes de Tipton (Angleterre) à Guantanamo
(Cuba) en passant par le Pakistan et l’Afghanistan
sont proprement inouïs et insensés, à peine
croyables. Pourtant, les bases qui ont servi à édifier
ce troublant docu-fiction sont on ne peut
plus vraies. Shafiq, Ruhel, Monir et Asif, quatre
adolescents d’origine pakistanaise intégrés à
la société anglaise, partent en octobre 2001
pour le Pakistan afin d’y célébrer le mariage
du dernier. Plus motivés par l’aspect
aventureux que par le retour aux origines et leur
rapport à ce monde en mutation, les quatre
copains tout excités sautent sur l’occasion
offerte de pouvoir se rendre en Afghanistan, où
les bombardements américains ont démarré –
nous sommes en effet quelques semaines après les
attentats du 11 Septembre. Embarqués dans un
minibus qu’ils pensent les ramener au Pakistan,
ils se retrouvent au milieu des zones de combat.
Alors qu’ils ont perdu de vue Monir, les trois
restants sont fait prisonniers. Leur jeune âge,
leur origine et leurs antécédents judiciaires
non exempts de quelques incartades suscitent la
suspicion de leurs geôliers qui voient en eux des
combattants supposés d’al-Qaida et finissent
par les transférer à la tristement célèbre
prison de Guantanamo, dont ils ne ressortiront
qu’au bout de deux ans. Sans autre forme de
justification ni réparation des outrages subis.
Il
s’agit donc d’une histoire vraie dont
l’ancrage dans le réel est ici marqué par les
interviews des trois rescapés – nul ne sachant
ce que Monir est devenu – qui jalonnent la
reconstitution de leur histoire kafkaïenne qui
divise elle-même le film en deux grandes parties :
le voyage et l’emprisonnement. La première nous
convainc davantage par sa réalisation énergique,
qui la transforme en un road-movie haletant sur
les pistes surchauffées du Pakistan, puis de l’Afghanistan
dans des bus bringuebalants et bondés. Comme il
l’avait déjà fait pour In this world
(2003), le réalisateur capte l’agitation,
l’urgence et la folie ambiants dans une
promiscuité fourmillante – comme dans la scène
du passage de frontière entre les deux pays
asiatiques. La seconde partie, l’incarcération
à Guantanamo, est logiquement plus statique et
difficilement supportable : maltraitances et
brimades à répétition, anéantissement
psychologique des prisonniers par l’humiliation
et la négation même de leur statut humain. La
charge est lourde, sans nuances, confinant au
pamphlétaire. On a ainsi reproché à Winterbottom
son univocité et ses partis pris, mais il faut
aussi avoir à l’esprit que le film relaie les témoignages
des trois jeunes Anglais, dont il adopte l’entière
version sans la discuter ni la contre-balancer.
Compte
tenu des interrogations scandalisées au sujet des
conditions d’emprisonnement à Guantanamo –
devenu zone de non-droit échappant au respect des
règlements internationaux -, on ne peut nier
l’authenticité de ce que The Road to
Guantanamo nous montre : les terribles
conséquences de la paranoïa effrénée de l’Amérique,
en passe de voir des terroristes potentiels derrière
n’importe quel homme au seul motif de ne pas être
à la place – géographique, politique ou
fonctionnelle - qu’il devrait occuper. Cet
ostracisme systématique doublé des pires
traitements réservés aux victimes qui rappellent
les heures les plus tragiques de l’histoire récente
constitue le pivot central du film, remarquable à
montrer une réalité accablante, notamment grâce
à la formidable interprétation des comédiens
tous amateurs.
Et
l’on comprend d’autant moins l’approche
chichiteuse de certains critiques : oui, ces
jeunes n’étaient pas des héros, plutôt des
glandeurs avides d’exotisme à moindre frais. La
rencontre entre la petite et la grande (Histoire)
les a métamorphosés, mûris et forgés. Qu’on
les retrouve quelque temps après leur libération
au Pakistan laisse songeur quant à l’éventuel
« bienfait » du séjour cubain…
Patrick
Braganti
Drame
britannique – 1 h 35 – Sortie le 7 Juin 2006
Avec
Riz Ahmed, Farhad Harun, Arfan Usman, Waqar
Siddiqui
|