Voici
une nouvelle réjouissante : l’ébauche
d’un début de réveil du cinéma italien,
qu’on savait aux abonnés absents depuis
plusieurs décennies. Tragique désertion si
l’on tient compte, surtout, de l’apport
historique décisif des films transalpins au
regard d’un siècle de cinéma. Qu’une Europe
sans complexe s’assume enfin en pleine lumière
et s’empare librement de sa propre Histoire pour
en tisser les fils secrets, en inventer d’autres
mythologies, n’est pas anodin. Car le temps est
peut-être venu pour entreprendre à nouveau, de
ce côté-ci de l’atlantique, un cinéma riche
et varié, inventif, populaire et exigeant. Non
pas qu’il faille couper les ponts d’avec le
fameux Hollywood (on a d’ailleurs encore récemment
offert des facilités de tournage versaillais à
la Sofia Coppola, pressée de dresser un
portrait – on craint le pire : voir la
bande-annonce clippesque en diable - de Marie-Antoinette,
l’autrichienne de France), il s’agirait
plutôt de réouvrir la boîte à inventions européenne,
capable – on l’a vu - de rivaliser et de
contrer (sur le plan esthétique donc, tôt ou
tard, économique) un cinéma américain plus guère
en mesure de renouveler sa vision excessivement stéréotypée
du monde–salle de jeux (ce qui peut éventuellement
se pardonner dans le cadre réduit des séries télévisées
mais que l’exigence plus haute du cinéma
interdit).
A
cet égard, Romanzo Criminale fait souffler
un air bienvenu. Pas question ici d’invoquer la
résurrection ou la réinvention des audaces
formelles de grands maîtres disparus – le
projet n’est pas là. Par son affirmation calme
et maîtrisée,
sa capacité à embrasser une matière
vaste et complexe, à la fois réelle et
imaginaire, le film de Michele Placido
parvient cependant, et presque de bout en bout (un
dernier quart d’heure boitillant), à tenir sa
(bonne) vitesse de croisière, mélange
d’efficacité et de souci du détail. Confronté
à une très lourde densité de personnages, plus
ou moins principaux, plus ou moins secondaires, le
récit sait allier avec aisance l’intime (les scènes
d’amour notamment) et le général (la
trajectoire forcément pipée d’un groupe de
jeunes gens aventureux dans leur conquête de
Rome). Sans étinceler par son génie du style, Placido
déploie sa caméra dans une optique un peu
fourre-tout, sautant d’une référence (le Scorsese
des Affranchis saute aux yeux) à une autre
(clins d’œil à Leone) et une autre
encore (le polar seventies) sans vraiment adhérer
à aucune, désarçonnant dans un premier réflexe,
laissant poindre la crainte d’un éparpillement
étranger au minimum de cohérence attendu.
Or
la surprise est bien là : car de cet amas
explosif (sans mauvais jeu de mot) surgissent
pourtant des dénivellations hors les voies
d’usage. Gloire donc à la mise en scène
efficace d’un scénario précis, celui qui
autorise, bien qu’évoluant au cœur d’un
maelström global, chacun des personnages à
revendiquer sa part de singularité, laquelle se
laisse saisir sous des angles renouvelés - autant
d’espaces livrés à des figures complexes :
le flic Scialoia droit et flou,
l’ambitieux Dandy comme un poisson dans
l’eau poisseuse de l’Italie des années de
plomb, le romanesque Libanais jouant sa vie
comme un empereur romain, Freddo sensible
et désintéressé, la sensuelle Patrizia
(« Tous les hommes me désirent »)
jouant sur le fil de la vie à la mort selon
l’exemple des grandes tragédiennes.
Intelligence d’abord d’un casting à la
hauteur des enjeux et boostant dans
l’incarnation ce qu’aucun scénario ne sait prévoir :
les ritals charismatiques Kim Rossi Stuart,
Pierfrancesco Favino ou Claudio
Santamaria et la plus familière francese
Anna Mouglalis (quelle comédienne française
peut sérieusement rivaliser ?). L’enrobage
soigné ensuite (Rome filmé sans afféteries
superflues, les décors souvent très beaux)
participe de cette réussite générale autant que
l’entremêlement classique mais efficace
d’images d’archives plongeant avec un naturel
saisissant le spectateur au cœur de cette Italie
en crise.
Malgré
quelques faiblesses (raccourcis parfois brusques),
nul doute que ce beau film, catégorie Blockbuster
plutôt qu’art et essai, parvient à atteindre
sa cible avec une efficacité qui fait de plus en
plus défaut à Hollywood (d’où le recours récurrent,
en matière d’action movies, aux joyaux
asiatiques). Cette déferlante violente de jeunes
affamés quittant la rue pour conquérir Rome peut
d’ailleurs se laisser lire comme une métaphore
séduisante du projet porté par le film :
frapper de son indéniable réussite pour se faire
une place au soleil. Et qu’importe les risques,
on connaît tous la fin.
Christophe
Malléjac
Film
italien – 2 H 28 – Sortie le 22 mars 2006
Avec
Anna Mouglalis, Kim Rossi Stuart, Pierfrancesco
Favino
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