Sang
et or de
Jafar Panahi
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C’est par une formidable
scène-choc que débute Sang
et or de l’iranien Jafar Panahi, tiré
d’un magnifique scénario de son ami et compatriote Abbas
Kiarostami (comme cela avait déjà été le cas
pour son premier film, Le
ballon blanc, en 1995), dont il fut l’assistant
sur le tournage d’Au
travers des oliviers.
Lors de la phénoménale séquence d’ouverture, dans
laquelle Panahi joue avec les différents niveaux
de plans, un homme de forte carrure (Hussein) braque une
bijouterie des beaux quartiers de Téhéran, alors que
son complice Ali fait le guet dans la rue. Piégé par
le système de sécurité actionné par le gérant,
Hussein se retrouve enfermé dans la boutique. Il abat
alors le propriétaire et se donne la mort.
C’est à partir d’un fait divers lu dans un journal
que Kiarostami a écrit son scénario. Dans Sang
et or, qui clôturait la sélection Un Certain
Regard du Festival de Cannes 2003 et a remporté le Prix
du Jury, Panahi s’est intéressé aux raisons
qui ont pu pousser le braqueur à retourner son arme
contre lui. Débute alors un long flash-back revenant
sur les dernières heures de Hussein.
Mais ce flash-back n’est pas immédiatement évident
pour le spectateur, puisque l’on voit la fin de la séquence
du braquage, lors de laquelle Ali s’enfuit en
mobylette, aussitôt suivie d’une autre séquence (en
simple raccord) où Ali finit son trajet en mobylette
pour rejoindre dans un café... son ami Hussein qui
l’attend ! Ali lui apporte un
sac à main, dans lequel ils découvrent quelques
babioles, ainsi qu’un reçu du paiement d’un collier
dont le montant (quelques chiffres suivis d’une
myriade de zéros !) dépasse l’entendement de
nos deux anti-héros, beautiful losers, qui vivent plus que chichement de leur métier de
livreur de pizzas à mobylette.
C’est sur cette opposition entre riches et pauvres que
va se construire le film, avec de nombreux
allers-retours entre le haut (les quartiers riches) et
le bas de la ville. Panahi dresse d’ailleurs
une belle topographie de Téhéran (avec ses travellings
lors des trajets en mobylette, les vues aériennes de la
terrasse d’un duplex, les rues qui montent vers la
bijouterie...).
En plus de celle d’ouverture, on se souviendra de deux
autres scènes magnifiques. Dans la première, Hussein
doit livrer des pizzas dans la ville haute, dans un
appartement au-dessous duquel a lieu une soirée privée.
Mais le quartier est bouclé par l’armée qui attend
que les convives sortent un par un pour les arrêter. Ne
pouvant donc approcher l’immeuble où il doit livrer
ses pizza, Hussein essaie de faire comprendre aux forces
de l’ordre qu’elles l’empêchent d’effectuer son
travail déjà assez difficile comme ça. Puis il
abdique et attend. Mais voyant ses pizzas refroidir et
sur le point d’être perdues, il va les distribuer aux
jeunes soldats et autres personnages qui se trouvent
dans la rue ! Dans cette scène, Panahi nous
montre avec beaucoup de finesse que Hussein a un cœur
gros comme ça et nous rappelle que danser et boire de
l’alcool en Iran est répréhensible par la loi.
Lors d’une autre séquence, Hussein livre des pizzas
chez un riche fils à papa aux relations amoureuses tumultueuses (l’appartement se
situe dans la ville haute et, qui plus est, au 18ème étage
d’un immeuble luxueux). Grâce à de sublimes
mouvements de caméra, Panahi nous fait découvrir
en même temps qu’Hussein l’appartement somptueux,
dont la décoration en dit énormément sur les propriétaires
(réfrigérateur immense, électro-ménager et hi-fi
dernier cri, piano à queue, salle de musculation et
piscine avec fontaine, terrasse immense dominant toute
la ville... constituent ce duplex de nouveaux riches,
dans lequel évolue Hussein comme un pachyderme fatigué
dans une boutique de porcelaine).
C’est d’ailleurs ce qui frappe chez Hussein. Ce
contraste entre sa large silhouette et son visage gonflé
par la cortisone et ses pensées existentielles résultant
de sa lucidité sur la place misérable qu’il occupe
dans la société iranienne. Celui qui ressemble à une
forteresse humaine a aussi une âme. En le voyant, on ne
peut s’empêcher de penser au personnage de Forest
Whitaker dans Ghost Dog de Jim Jarmusch. Humilié à plusieurs reprises,
Hussein semble encaisser les coups, mais devient de plus
en plus écœuré par sa misère qui le sépare du monde
des riches et prend pleinement conscience qu’il fait
partie du camp des faibles, ceux qui montent les étages
à pied.
A force d’humiliations, Hussein perd peu à peu son
honneur, sa dignité. Or, que reste-t-il à celui qui ne
possède rien, quand son honneur est bafoué ?
Yann
Iran
– 1h37 – sortie le 25 février 2004
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