Au
début des années 80, le gouvernement chinois
craignant un conflit avec l’Union Soviétique
avait exilé à l’intérieur du pays les usines
les plus importantes stratégiquement afin de
former une « troisième ligne de défense ».
Des familles complètes durent ainsi quitter les
villes dont Shanghai, pour une campagne reculée
et hostile. Le déracinement ainsi provoqué fit
naître dans le même temps l’espoir de quitter
ces lieux perçus comme une punition et de
retrouver l’activité florissante des grands
centres urbains. Ou comment Shanghai, Eldorado à
atteindre, concentre toutes les espérances des
familles, enfin surtout celles des parents car les
enfants qui n’ont pas connu le paradis des
villes grandissent dans cette campagne reculée et
connaissent leurs premiers émois adolescents.
Shanghai
dreams se déroule dans la région de Guizhou
où Lao Wu et les siens ont été relégués comme
tant d’autres. D’ailleurs au sein de la petite
bourgade pluvieuse et boueuse défigurée par une
forêt d’immeubles hideux règne la solidarité
entre tous les bannis. Au moindre problème débarquent
les amis pour calmer et tenter de trouver des
solutions et les réunions autour de la radio américaine
relatant les prémices de la libéralisation en
cours achèvent de souder les chefs des foyers
tous désireux de quitter le plus vite possible
les lieux.
Si
la femme de Lao Wu baisse le plus souvent l’échine
face au mauvais caractère et aux crises
d’autorité de son mari et si leur garçon est
encore trop jeune pour être réellement impliqué,
leur fille, Qing Hong, écolière de dix-neuf ans,
se montre beaucoup plus rétive à la domination
paternelle. L’adolescente aimerait sans doute développer
une relation avec le jeune ouvrier qui la courtise
de loin et être un peu plus libre histoire de
prendre du bon temps en compagnie de sa meilleure
copine, la délicieuse Zhen Zhen dont les parents,
par ailleurs les amis les plus proches de ceux de
Qing Hong, font preuve de davantage de largesse
d’esprit.
Film
largement autobiographique, Shanghai dreams
à l’abord un tantinet âpre déroule des
instants de la vie de cette tribu de déracinés,
en passant de la légèreté et la drôlerie au
drame et au tragique. Le rythme volontairement
lent n’instille aucun ennui et le cinéaste opte
pour l’installation de longues scènes, comme
celle désopilante de la boum clandestine où le
John Travolta local, roi du dancefloor shooté à
Boney M, emballe Zhen Zhen, ou comme celle intense
des bains publics où Lao Wu se fait le soi-disant
porte-parole de l’intention de rupture de sa
fille vis-à-vis du jeune ouvrier.
Justement
récompensé du Prix du Jury au festival de Cannes
2005, Shanghai dreams séduit par sa mise
en scène précise et classique qui mêle le
sentimental au social, conflits générationnels
à destin de classe. Centré sur quelques rues et
quelques habitations de cette lointaine ville avec
laquelle on finit par être très familiarisé, Shanghai
dreams démontre une fois encore la capacité
des réalisateurs asiatiques à raconter avec maîtrise
des belles histoires où la subtilité le dispute
à la grâce, ici illustrée entre autres par la
qualité de l’interprétation et une superbe
lumière qui irrigue ce beau film, romanesque et mélancolique
en diable.
Patrick
Braganti
Drame
chinois – 1 h 59 – Sortie le 15 Mars 2006
Avec
Gao Yuanyuan, Yao Anlian, Li Bin
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