Sommeil amer
de Mohsen Amiryoussefi
[4.0]
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Sommeil amer
commence par un simulacre de reportage télé sur un des
cimetières de la ville dont on apprend au passage le
changement régulier de nom selon les courants
politiques et ethniques du moment. On y fait
connaissance avec Mohsen, le brûleur des vêtements des
morts, Yadollah le fossoyeur, Delbar la seule femme de
l’équipe qui s’occupe de laver les mortes, mais le
patron du cimetière est absent, en train de regarder le
reportage en direct dans une mise en abyme cocasse.
Lorsque le vieux Esfandiari écoute Yadollah prétendre
être le chef et le traiter de plus bon à rien, la colère
le saisit et il court admonester ses deux subalternes
masculins. Le ton est donné : dans un lieu
logiquement macabre, traitant d’un sujet délicat, Sommeil
amer est un film étrange et burlesque, étonnant à
plus d’un titre, convoquant des formes multiples.
Loin du cinéma emphatique et didactique de ses deux
collègues Kiarostami et Makhmalbaf, Amiryoussefi
pour son premier film opte pour un traitement plus léger
et plus décalé. Pourtant il n’en livre pas moins des
choses passionnantes sur les relations hommes-femmes, la
place de la mort dans la culture iranienne et la vie
quotidienne d’une communauté villageoise.
Sommeil
amer
s’inspire de faits réels : tous les personnages
du film jouant leur propre rôle. Le vieil Esfandiari
grincheux et acariâtre régnant en despote sur son
cimetière commence à penser à sa mort prochaine et réfléchit
à l’emplacement de sa sépulture ainsi qu’à
l’homme qu’il choisira pour le laver. Esfandiari qui
lave des cadavres depuis quarante années connaît
l’importance de ces rites qu’il enseigne au jeune brûleur
métamorphosé en apprenti obséquieux, appelé à lui
succéder, mais qui pour l’instant sert surtout de
souffre-douleur.
Rythmé
par une douzaine de bancs-titres comme différents
chapitres de la vie d’Esfandiari, Sommeil amer
offre quelques scènes muettes qui renvoient en droite
ligne aux premiers temps du cinéma. D’un autre côté,
il y a l’omniprésence de la télévision : le
reportage sur le cimetière, mais aussi dans la maison
du vieux laveur, spectateur assidu d’un écran qui
finit par être le miroir de sa propre vie. Dès lors,
le film épouse une forme fantasmagorique et moderne qui
ne se départit jamais d’un humour grinçant.
Mohsen Amiryoussefi
s’est chargé de toutes les étapes de Sommeil amer,
y compris production et montage. A l’inverse le scénario
a laissé une place prépondérante à
l’improvisation, les mots des personnages sont bien
les leurs, ce qui donne une scène totalement surréaliste :
alors que Yadollah opiomane à ses heures perdues au
fond des fosses est en train de creuser, Esfandiari se
saisissant d’un crane trouvé dans le trou prononce
ces mots ultimes « Etre ou ne pas être,
c’est la même chose » sans avoir jamais lu
un seul mot de Shakespeare. On est ébahis d’une telle
distanciation.
Ici
tout se monnaye : le fossoyeur veut bien creuser la
tombe d’Esfandiari à condition qu’il lui fasse don
de son vélo, Delbar peut téléphoner à sa fille en
Afghanistan depuis le domicile d’Esfandiari mais il
lui en coûtera de laver gratuitement quatre mortes pour
le compte de son patron. Et Esfandiari est prêt à
toutes les offrandes pour obtenir les faveurs d’un
laveur… de vivants.
Caméra
d’Or au festival de Cannes en 2004, Sommeil amer ravit
par son originalité et la force de son histoire.
Frisant le documentaire – on sait tout des pratiques
de préparation et d’inhumation en Iran -, le film
n’en est pas moins une fiction qui révèle un cinéaste
à la démarche conceptuelle et inventive. Et du coup Amiryoussefi
vient enrichir avec panache une cinématographie
iranienne toujours vivante.
Patrick
Braganti
Film
iranien – 1 h 27 – Sortie le 1er Juin
2005
Avec
Abbas Esfandiar, Delbar Ghasri, Mohsen Rahimi
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