Depuis
maintenant trois films, Apichatpong Weerasethakul
traîne une obsession : la maladie, la guérison.
Blissfully Yours contait les vertues
curatives d’une femme se donnant aux souffrances
de son amant. Tropical Malady voit un homme
muter en un fauve désespéré. Syndromes and a
century complète ces films, par l’univers médical
qu’il dessine devant nous. Incubée depuis son
enfance thaïlandaise, sa fascination des maux
apaisés accouche d’une famille de médecin.
Weerasethakul nous narre ses souvenirs à l’écran
comme autant de baumes vifs et anesthésiants.
(« Syndromes and a Century
est une contribution au festival New
Crowned Hope, un projet qui vise à explorer
la manière dont nous nous souvenons et comment
notre corde sensible peut être touchée par des
choses insignifiantes ».)
Pourtant,
ces trois films précités ne parlent que
d’amour… Contagieux, fiévreux, ces
sentiments, dans Syndromes,
traversent l’écran pour nous engourdir d’une
grippe cotonneuse à la fois tranquille et
angoissante. En effet le film se plie en deux,
mariant deux histoires en miroir, comme deux âme
sœurs, l’une guérie, l’autre malade. Ces
deux parties affichent la ressemblance :
dialogues répétées, scènes rejouées,
rencontres amoureuses…mais dans une « dimension »
parallèle. Est ce une réinterprétation d’un même
point de départ à la manière de Queneau et de
ses exercices de style ? Une situation
posée dans un autre contexte, un autre temps ?
Les deux ?
Dans
ce premier temps, un hôpital provincial baigné
dans la nature moite accueille des bonzes, des
militaires, des chanteurs, des médecins qui vont
se découvrir et se rencontrer multipliant les
petites histoires, les pistes amoureuses se
recouvrant l’une et l’autre de souvenirs.
Puis, le film se fend d’un blanc cassé pour
nous transporter dans ce second temps : l’hôpital
est impersonnel et aseptisé, emplâtré dans un
bruit sourd, claustrophobe de boules Quies. Dans
ce monde modernisé, les mêmes acteurs semblent réinterpréter
leurs rôles, mais orienté vers d’autres choix,
d’autres rencontres. Or, il serait facile
d’opposer nature et ville, tradition et modernité
tant ces deux visions sont parallèles. Mais, le
film ne mesure en rien un détachement des
affections entre ces personnes, c’est juste différent.
Le réalisateur thaïlandais aime la contagion au
point de soumettre cette deuxième partie à cette
fébrilité de mise en scène, comme si la bande
filmique tomber amoureuse de ce qu’elle
projetait, ce qu’elle regardait, de ce qu’elle
désirait. Weerasethakul
adore attendre cette contagion amoureuse, celle
qu’il a décrit dans la première partie, celle
qui a enfin rendu fiévreux son film. Et nous,
spectateurs, nous sommes pris dans cet
engourdissement dont on ne voudrait pas guérir.
Weerasethakul a donc prolongé le destin
familial (la médecine) pour distiller ces plus
beaux sérums cinématographiques.
Les
plans fixes, et les quelques panoramiques
subliment le film d’une retenue singulière. Ce
cinéaste maintient une distance, presque réglementaire,
entre ce qu’il filme, les corps en général et
cette caméra discrète. Elle laisse les
personnages en quarantaine, s’effaçant devant
la transmission affective des personnages. A
l’instar de Wong Kar Waï, cette caméra semble
ne jamais interférer avec les protagonistes,
toujours à la dérobée, derrière une porte, une
branche, loin de l’action. Et, lorsque celle-ci
pénètre l’espace défendu, elle semble être
refoulé par les acteurs, comme dans la scène
avec les docteurs prothésistes, et ce regard caméra
insistant d’une dame âgée, matrone protectrice
du lieu. Cette retenue confine Syndromes
and a century
une beauté timide, celle qu’on aimerait pouvoir
étreindre s’il n’y avait pas cette barrière,
cette barrière qui nous empêche de plonger dans
le bonheur irradié d’un film-pommade.
Apichatpong
Weerasethakul réalise un film onirique habité
par le souvenir. Cette rêverie distanciée nous
appelle lentement vers les plus confortables égarements
d’une fièvre qui petit à petit fait frissonner
le film. Tel un vaccin, ce film contient le virus
et son remède. Apichatpong le sorcier nous fait
la piqûre. Nous attendons le rappel avec ardeur.
Maxime
Cazin
Comédie
dramatique thaïlandaise – 1 h 45 – Sortie le
13 Juin 2007
Avec
Arkanae Cherkam, Nantarat Sawaddikul, Jaruchai
Iamaram
Plus+
www.kickthemachine.com/works/Syndromes.html
(1)Cf :
Allocine
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