Une
famille de la classe moyenne israélienne à Jérusalem,
les Frankel. Deux frères qui se chamaillent, des
négociations interminables entre les garçons et
les parents pour savoir qui a tort, qui énerve
l’autre, qui a commencé. Puis le père, Eli,
disparaît subitement, comme une ombre. Après un
accident aussi lent qu’inopiné. Le temps que
Menachem, le plus âgé des deux frères, revienne
à la voiture avec des secours, et la place du père,
face au volant, est vide. On ne le retrouvera pas.
L’incipit achevé, le film surgit de cet
entre-deux incontournable qui suit la disparition
d’un proche. Ce laps de temps entre le moment ou
il s’est échappé de votre champs de vision et
l’instant où il faut bien se rendre à l’évidence :
il ne reviendra plus.
Caméra
à l’épaule, drame intimiste, dans son cinquième
long métrage, le réalisateur français Raphaël
Nadjari creuse la veine d’un cinéma indépendant
à l’américaine. Tourné en Israël et en hébreu,
Tehilim (Les Psaumes, en français) renoue
avec les thèmes abordés dans le film new-yorkais
I Am Josh Polonski’s Brother : le
monde juif, la famille, l’alternative entre
orthodoxie et laïcité. Héritier de Cassavetes,
Nadjari filme ses personnages au plus près de
leurs visages, de leurs expressions, de leurs déambulations.
Au fil d’une image mouvante et rythmée, le film
dévoile la tragédie personnelle de chacun des
membres de la famille Frankel. Le jeune acteur Michael
Mushonov porte le film comme son personnage
son foyer. Ferme, décidé et fragile, il est le
pont entre la mère, laïque et la famille
paternelle, religieuse. Désorienté, quand sa mère
éconduit le frère et le père du disparu, venus
réciter des psaumes dans l’appartement
familial, pour le fantôme, le personnage de
Menachem est toujours en nuance.
Jérusalem,
décor de l’action, n’apparaît qu’en
contrechamps du quotidien d’une famille ashkénaze
modeste. Quelques plans d’ensemble de la ville,
des coins de rues, furtifs, le portail de la
petite amie de Menachem. Le cœur historique de la
ville, terrain symbolique d’un conflit sans fin,
reste hors champs. Pas de référence à
l’actualité du conflit israélo-palestinien,
qui pèse, pourtant en continu sur le quotidien
des habitants. Toutefois, ce sont bien les
tensions de la société israélienne que le film
dessine en creux. Entre la religion omniprésente
au quotidien, et les aspirations d’émancipation
laïques. Entre la violence et la mort, toujours
menaçantes, et les soirées insouciantes des lycéens.
Quand les frères prennent le bus pour se rendre
à l’école, leur silence, les yeux tournés
vers les fenêtres, le cadre resserré, tout
rappelle à la fois que le père a disparu alors
qu’il emmenait, en voiture, ses fils à l’école,
et que dans un bus, à Jérusalem, la possibilité
d’un attentat traîne toujours quelque part dans
la tête des passagers.
Ce
film à la fois sensible et sec, dans le
traitement de l’intrigue et des sentiments, pose
donc un regard interrogateur, presque décontenancé,
sur le mystère de la société israélienne et
les deux pôles qui portent ses habitants :
la modernité, d’une part,
les traditions juives, de l’autre. Comme
dans I Am Josh Polonski’s Brother,
Nadjari filme dans Tehilim les gestes
rituels du repas de shabbat avec une attention
presque policière. Sa caméra scrute les
ustensiles, la fabrication des pains, le lavage
des mains. Ce qui choque dans cette scène,
c’est la trivialité des outils du rituel sacré :
une cruche en verre mal dégrossi, un verre de vin
rituel en gré, rempli pour moitié avec de
l’eau et qui déborde. C’est le rituel des
petite gens. Ces plans silencieux expriment tout
autant une proximité avec ce rite religieux et
familial, qu’une incompréhension hébétée
d’une vie de tous les jours
israélienne toute pénétrée de sacré,
de psaumes.
Rachel
Knaebel
Film
français – 1h36 – Sortie le 30 mai 2007
Avec
Michael Mushonov, Limor
Goldstein, Shumel Vilojni, Ilan Dar,Yohav Hayit,
Reut Lev...
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