L’adolescence
tentée et séduite par la violence comme
expression extrême d’un mal-être et comme
rejet de la société, c’est bien sûr un sujet
déjà maintes fois rebattu et qui a inspiré
nombre de cinéastes. Parmi lesquels la figure tutélaire
de Stanley Kubrick qui avec Orange mécanique
(1972) imprimait sa marque géniale et
grandiloquente à la cavale sadique et terrible de
Alex et sa bande. Plus proches de nous, Michael
Haneke avec Funny Games et Gus Van
Sant avec Elephant ont aussi réfléchi
sur le phénomène.
Autant
dire que pour Thomas Clay, qui signe là
son second film, c’était une véritable gageure
à mettre en scène la descente aux enfers de
trois jeunes Anglais de Newhaven entraînes dans
une spirale de violence. Beaucoup ont réduit The
Great ecstasy à la scène finale d’un bon
quart d’heure, apothéose insoutenable de la dérive
de Robert et ses deux potes, scène éminemment
choquante d’un viol sur la femme d’un
journaliste cuisinier, bâillonné et obligé à
regarder. Et du même coup ont fait du cinéaste
un décérébré et un bon faiseur, apologiste
complaisant de ce qu’il montre, conscient de
choquer, avec l’absence totale de recul et de
regard. Tout ceci est exagéré.
Sans
la légitimer en quoi que ce soit, la fameuse scène
n’est pas aussi putassière qu’on a bien voulu
le dire. Thomas Clay sait justement
instiller la tension et la folie grandissantes qui
mènent droit au massacre, lequel sera amoindri au
final par des images de guerre – en guise
d’une justification pour le coup oiseuse ou dans
le désir de nous épargner ? Bien sûr, cela
pose le rapport que chaque spectateur entretient
avec ce qu’il est capable de voir et de
supporter et ce que cela lui renvoie. Certaines réactions
blasées et bêtement provocatrices à la sortie
de la projection, y compris des plus jeunes
spectateurs, laissent entrevoir que Clay
met bien le doigt là où ça peut faire très
mal.
Ce
qui est sans doute plus dérangeant, c’est la
banalité avec laquelle tout ceci se produit. En
cela, Robert, Joe et Ben sont bien sur la même
ligne que leurs pairs américains ou autrichiens.
A son tour, Thomas Clay révèle la vacuité
incommensurable de l’existence des trois jeunes
Anglais et atomise en toute logique le moindre développement
de leur personnalité. Pour preuve, les heures
passées sur la triste plage à glander, fumer des
joints ou bouffer des cachets sans qu’il n’y
ait trois mots échangés, hors les injures
d’usage.
Pourtant,
le réalisateur suggère quelques motifs à cette
débauche de violence, qu’il envisage comme
« la manifestation la plus pure et la
plus primaire dans laquelle son héros vit ».
Robert, étrangement calme, apprenti
violoncelliste, est obsédé par les rapports
sadiques – il se masturbe sur des images SM -,
pouvant sous-entendre une sexualité trouble,
voire inassouvie, s’épanouissant dans la
domination et la violence. Joe, l’instigateur,
viré de l’école, influencé par son cousin
sorti de taule, a plus ou moins conscience qu’il
ne pourra jamais accéder au train de vie
ostentatoire des nantis qu’il veut dévaliser,
en leur foutant une belle trouille au passage.
En
1972, Orange mécanique était une œuvre
de science-fiction, prenant place dans le futur et
construite autour d’un groupe désocialisé. En
2006, nous sommes dans le réel sordide, celui de
trois adolescents à peu près intégrés, sans
ambition de se singulariser. Le constat est forcément
plus amer : la culture – celle qui permet
à Robert de pratiquer le violoncelle – ne sauve
même plus de la barbarie. Et Thomas Clay,
quoiqu’on en dise, possède bel et bien un
regard. Le plus noir qui soit. Sans aucune
concession, sans le moindre espoir laissé aux
trois égarés, même pas celui de la moindre
prise de conscience, s’en revenant à travers
champs après le massacre nocturne.
Polémique,
dérangeant, mais aussi brillant et volontiers
ambigu, The Great ecstasy of Robert Carmichael
dans ce qu’il dévoile de l’état déliquescent
de la société actuelle fait durablement froid
dans le dos et laisse des traces dans l’esprit
choqué ou dégoûté du spectateur. A chacun en
somme de se faire sa propre opinion…
Patrick
Braganti
Drame
britannique – 1 h 36 – Sortie le 26 Avril 2006
Avec
Daniel Spencer, Ryan Winsley, Charles Mnene
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