En
intitulant son dernier opus The Last Show
(le dernier spectacle, donc) et en mourant
quelques semaines avant sa sortie française, on
pourrait conclure avec un aplomb très cynique que
Robert Altman a fait preuve jusqu’à la
fin d’un certain à-propos. Pas sûr que le réalisateur
de Short Cuts alors âgé de quatre-vingt
ans n’y ait pas songé comme pirouette ultime
d’un homme frondeur, rompu à jouer avec tous
les codes cinématographiques qu’il a souvent
malmenés sous son regard ironique et cruel. Dès
lors, The Last Show prend une dimension
particulière et le porte d’office à des
sommets d’appréciation – en clair, une
critique élogieuse – qu’il n’aurait sans
doute pas atteints dans d’autres conditions.
Non
pas que The Last Show soit un mauvais film.
Au contraire, il est déjà plus passionnant que
l’incursion faite par son auteur dans le monde
de la danse et des ballets contemporains : The
Company en 2003 s’était révélé ennuyeux
et superficiel. Loin des tutus et du Joffret
Ballet of Chicago, Robert Altman nous
fait pénétrer au Fitzgerald Theater où se déroule
chaque samedi depuis trente ans un show
radiophonique devant un public nombreux et ravi.
Cette émission vieillotte pour ne pas dire
ringarde se compose de morceaux de musique country
interprétés par des artistes quelque peu sur le
retour, de pastiches de fausses réclames et de
numéros d’amuseurs, le tout orchestré et
arrangé par Garrison Keillor – qui signe
aussi le scénario -, maître de cérémonie
grassouillet et débonnaire.
The
Last Show
est quasiment du cinéma en temps réel puisque sa
durée coïncide en gros avec celle de l’émission
et prend place dans le lieu unique du théâtre
dont tous les espaces sont investis :
coulisses, scène et loges. Comme il s’agit
d’une véritable émission diffusée en Amérique,
mais aussi en Australie et Nouvelle-Zélande,
comme certains personnages incarnent leur propre rôle
à l’instar de l’animateur GK, tout ceci donne
incontestablement un aspect documentaire au film,
forme à laquelle Robert Altman avait déjà
recouru dans Prêt-à-porter en 1994. Ici,
il ne se cantonne pas de mettre en images un show
radiophonique et ses secrets de fabrication autour
d’une trentaine de personnages qui n’arrêtent
pas de se croiser dans un lieu clos – le film
choral étant par ailleurs une autre marque de
fabrique du cinéaste. Il fait entrer la fiction
en faisant de l’émission la dernière, puisque
le théâtre vient d’être racheté par un
groupe texan. C’en sera donc fini et du
spectacle du samedi soir, et même du bâtiment
qui l’abritait. Robert Altman en profite
au passage pour pourfendre le monde des affaires
insensible à celui de l’art. Mais le réalisateur
n’est en rien aigri, suggérant que de toutes
les manières le spectacle finit toujours par
continuer, sous une autre forme ou dans d’autres
endroits.
La
plus grande séduction de The Last Show
provient à coup sûr d’une mise en scène
inspirée, en état de grâce. Les mouvements de
caméra sont aériens et suivent, durant de longs
travellings, la petite communauté des artistes et
des techniciens. A chaque plan, que ce soit au
premier ou à l’arrière, tout ce petit monde se
rencontre, s’interpelle dans une chorégraphie réglée
au millimètre. Les numéros désuets comme celui,
inventé pour l’occasion, des Johnson Girls –
deux sœurs qui rendent sans cesse hommage à leur
mère usée à la tâche – ou celui bien réel
de Dusty et Lefty, deux cow-boys aux piètres
blagues éculées, sont drôles et rythmés par
une musique country entraînante, dont il n’est
pas nécessaire d’être fan absolu.
Avec
élégance et classe, comme un éternel gamin ravi
de ses bons coups, Robert Altman quitte la
scène en nous offrant The Last Show, film
léger et mélancolique, sans prétention ni
message de la dernière heure. Adieu
l’artiste…
Patrick
Braganti
Comédie
dramatique américaine – 1 h 40 – Sortie le 6
Décembre 2006
Avec
Meryl Streep, Kevin Kline, Lily Tomlin, Lindsay
Lohan
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Site
du film : www.aprairiehomecompanionmovie.com
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