Sans
doute le nom Pedro Almodovar est-il devenu
un sésame, ou à tout le moins un gage de qualité.
Quand il est crédité à la production d’un
film – lequel film arrive précédé d’une
flopée de récompenses aux derniers Goya
ibériques, l’équivalent de nos César
locaux – on se dit que forcément on devrait
passer un bon moment, encore plus titillés par un
titre abscons, laissant penser qu’il fera la
part belle au scénario et aux dialogues.
Eh
bien, force est de reconnaître que la déception
est à la hauteur de l’attente – schéma de
plus en plus répandu. Et qu’il faut attendre
les deux tiers du dernier opus de Isabel Coixet
pour en mettre en pratique la signification littéraire,
s’avérant au final pompeuse et vaine. Avant, il
aura fallu assister à une mise en place des
protagonistes aussi bancale qu’incompréhensible.
Hanna est une ouvrière consciencieuse, mais repliée
sur elle-même, isolée dans son monde intérieur,
ce que son appareillage auditif ne fait
qu’appuyer. Ses habitudes alimentaires et hygiéniques
sont déconcertantes : toujours le même plat
à base de riz et de pommes ; et elle utilise
à chaque toilette un nouveau savon. Fortement priée
par son supérieur de prendre quelques semaines de
congés, Hanna se retrouve embauchée comme
infirmière sur une plate-forme pétrolière, où
vient de se produire un accident. Elle est affectée
au chevet de Josef, momentanément aveugle et grièvement
brûlé. Entre ces deux êtres ébranlés par la
vie, une étrange intimité se crée, faite de
secrets, de vérités et de mensonges, d’humour
et de souffrance. Le rapprochement inattendu
permet la confession, la libération rédemptrice
de la parole. On a déjà fait plus léger comme
sujet, d’autant plus que Hanna a connu des
moments extrêmement douloureux au regard desquels
le parcours de Josef pourtant guère linéaire
s’inscrit en-deçà de celui de son infirmière
temporaire.
On
voit très vite les intentions de la réalisatrice :
placer dans un univers clos et artificiel,
construit de toutes pièces par la main de
l’homme, deux êtres qui n’auraient jamais dû
se croiser. Chacun est à sa manière diminué :
Hanna peut très bien en ne branchant pas son
appareil ne rien entendre du monde qui l’entoure
et Josef est incapable de voir pendant deux
semaines. Ce qui du coup exacerbe les sensations
tactiles et la nécessité du langage. Avant que
les mots ne giclent dans un flot libérateur, Isabel
Coixet aura épuisé toutes les ressources
offertes par la plate-forme : son étrangeté
et son isolement, mais également les quelques
hommes qui y sont restés : du cuisinier expérimentateur
des recettes du monde et des musiques idoines à
l’océanographe chargé de compter le nombre des
vagues, en passant par deux ouvriers en train de
trouver l’amour. Autant de digressions qui déroutent
de l’axe principal.
Dans
son désir de bien faire et de traiter avec dignité
et sans excès de pathos la douleur légitime et
secrète de Hanna, la cinéaste de Ma vie sans
moi ne fait pas dans la demi-mesure. Ici tout
est surligné et apprêté, réduisant à néant
l’espace d’interprétation et de suggestion du
spectateur qui assiste jusqu’à la lie à
l’explication. Si encore le film avait pu nous
faire cadeau des dernières dix minutes qui
finissent de clôturer et de baliser le terrain déjà
pas mal débroussaillé.
Enfin,
on ne s’appesantira pas plus que nécessaire sur
le jeu peu nuancé de Tim Robbins ni sur
celui guère plus convaincant de Sarah Polley,
trop répétitif, oscillant entre moues maussades
et sourires passagers. Quant à l’enrobage
musical, qui donne lieu à des scènes flirtant
outrageusement avec le clip, c’est l’overdose.
Décidément,
le cinéma espagnol convainc davantage dans ses
comédies débridées et alertes que dans ses
drames lourds et indigestes, dont après
l’insupportable Mar Adentro, The
Secret life of words est aujourd’hui le
dernier avatar.
Patrick
Braganti
Drame
espagnol – 1 h 52 – Sortie le 19 Avril 2006
Avec
Sarah Polley, Tim Robbins, Javier Camara
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